L’engagement français au Sahel fait face à une hostilité de plus en plus visible, illustrée ces derniers jours au Burkina Faso puis au Niger par la mobilisation contre le passage d’un convoi militaire en route pour le Mali.
La longue file de véhicules devait traverser le Burkina Faso puis le Niger pour se rendre dans le nord du Mali, à Gao, comme cela est fréquent depuis le début de l’intervention française au Sahel en 2013.
Mais le chemin a été semé d’embûches: à Kaya (centre burkinabè), puis à Tera (ouest nigérien), dans des zones où les violences sont omniprésentes, des manifestants ont bloqué le convoi et caillassé les véhicules escortés par des forces de sécurité locales.
A Kaya, plusieurs manifestants ont été blessés. A Tera, au moins deux d’entre eux ont été tués dans des tirs imputés aux forces nigériennes par certains, français par d’autres. Une enquête a été ouverte. Le convoi est arrivé à Gao dimanche soir.
C’est la première fois, selon plusieurs observateurs du conflit, que la contestation de la présence française est aussi évidente dans les zones affectées par le conflit. Auparavant, les manifestations étaient cantonnées aux capitales, Bamako et Ouagadougou en tête.
Si l’ampleur de l’adhésion au discours anti-français est difficile à mesurer, il est « en train de s’imposer dans l’espace politique sahélien et en façonne la dynamique », note le chercheur français Yvan Guichaoua. Il parle de « bain d’hostilité » dans lequel évolue la France.
« Même les chefs d’Etat sont appelés à se positionner par rapport à cette dynamique », note-t-il.
Vendredi soir, le président du Niger Mohamed Bazoum exprimait sa « reconnaissance » envers la France dont il saluait « les sacrifices ».
Ce discours est aux antipodes des prises de paroles publiques du Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, qui n’hésitait pas récemment à accuser la France de former des groupes jihadistes.
« Jusque là ce type de propos émanait de réseaux pas très crédibles, de cercles complotistes, mais que cela émane d’une autorité aussi haute que le Premier ministre y donne du crédit », estime Boubacar Haidara, chercheur malien.


– « #OnEstEnsemble » –


« La population n’arrive pas à comprendre que le terrorisme puisse gagner du terrain alors que les soldats français sont là », fait valoir auprès de l’AFP un diplomate français sous le couvert de l’anonymat. « Les populations se retournent contre ceux qui sont en première ligne », abonde une source proche de l’exécutif français, évoquant une « situation inquiétante ».
L’influence des groupes jihadistes au Sahel, affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation Etat islamique, va grandissant dans les trois pays du Sahel central. Les Etats, parmi les plus pauvres du monde, n’arrivent pas à faire face, malgré l’appui de forces étrangères.
Les attaques sont quasi-quotidiennes, et la lassitude d’un conflit qui dure depuis huit ans, perceptible. Quatre soldats burkinabè ont encore été tués dimanche dans le nord.
Soucieuse d’alléger son empreinte, la France a entrepris de quitter des bases au nord du Mali (Kidal, Tombouctou et Tessalit) et de réduire ses effectifs de plus de 5.000 aujourd’hui à 2.500 ou 3.000 hommes d’ici à 2023.
L’annonce a poussé la junte malienne à s’intéresser à l’offre sécuritaire des mercenaires russes de Wagner, déclenchant de graves tensions entre partenaires. Bien qu’une coopération ne se soit pas encore concrétisée pour l’instant, les rumeurs ont fait florès. Des manifestations pro-Russie et anti-France sont désormais fréquemment organisées à Bamako.
L’ancienne puissance coloniale, qui dénonce une campagne de désinformation russe, cherche à réagir: des panneaux publicitaires avec le mot-dièse #OnEstEnsemble ont fleuri dans Bamako, et les communiqués hebdomadaires de l’opération Barkhane sont désormais traduits en bambara, langue malienne.
« On n’est plus en face-à-face avec les Maliens, les Russes redistribuent les cartes », observait récemment un haut gradé français sous couvert d’anonymat. « Et la junte (malienne) a presque plus de cartes en main que nous ».
Pour Boubacar Haidara, « l’erreur des autorités françaises est de penser que les contestations de la présence française ne sont que le fruit de manipulations, mais (elles) sont également le résultat de sa politique sahélienne ».
Le président Emmanuel Macron a fixé une ligne rouge: les soldats français ne cohabiteront pas sur un même territoire avec Wagner, que Paris accuse de prédation en Centrafrique. Mais un désengagement brutal sonnerait comme un échec à l’afghane, à quelques mois de la présidentielle française. (abamako.com)