L’attaque d’Inata, pire revers jamais enregistré contre l’armée burkinabè, n’en finit pas de faire des vagues. Le Président Roch Kaboré a récemment opéré des changements dans le commandement de la gendarmerie, et le gouvernement devrait bientôt être resserré. Mais quel impact pourraient avoir ces décisions contre le terrorisme qui gagne du terrain?Le 29 novembre dernier, le Président burkinabè Roch Kaboré a procédé à d’importantes nominations dans le commandement de la gendarmerie nationale (qui relève de l’armée). Ces changements et bien d’autres, il les avait promis quatre jours plus tôt, lors d’une adresse à la nation, qui faisait écho à l’attaque d’Inata, au cours de laquelle ont péri 53 gendarmes et quatre civils.

Interrogée par Sputnik, Déborah Marie-Estelle N’Guessan, analyste politique et sécuritaire, soutient que « ces décisions, sans forcément constituer la solution au problème, ont été prises pour calmer la colère des populations révoltées » qui appellent à la démission du chef de l’État, jugé incapable de « gérer la situation sécuritaire ».

« En prenant cette décision, le Président Roch Kaboré essaie de faire croire que les personnes limogées étaient simplement incompétentes. Mais, alors qu’il a lui-même occupé le poste de ministre de la Défense [du 20 juin au 14 octobre dernier, ndlr], la situation sécuritaire ne s’est pourtant pas améliorée. Cela symbolise d’une part l’impuissance des forces de défense et de sécurité, mais renforce d’autre part la perception des populations, qui s’estiment livrées à elles-mêmes. Il convient d’analyser de plus près ce qui s’est passé à Inata et d’en identifier les causes profondes afin que cela ne se reproduise plus », affirme-t-elle.

Inata, colère et incompréhension

Le 14 novembre dernier, des dizaines d’hommes armés ont pris d’assaut le détachement de gendarmerie d’Inata, dans le nord du Burkina Faso, tuant 53 gendarmes et quatre civils.

Cette attaque, qui est à ce jour la plus meurtrière pour les forces de défense et de sécurité depuis la contagion djihadiste en octobre 2015, a provoqué une onde de choc et de colère encore vive dans le pays. D’autant plus qu’elle est survenue alors que le détachement avait signalé à sa hiérarchie des problèmes de ravitaillement et de relève des troupes, comme en témoigne un document ébruité sur les réseaux sociaux.

Pour Déborah Marie-Estelle N’Guessan, le drame d’Inataa mis en lumière deux hypothèses à considérer: le manque ou l’insuffisance de logistiques et de vivres pour les forces de défense et la mauvaise gestion des stocks. « En tout état de cause, ce n’est pas normal que dans un contexte sécuritaire aussi fragile des gendarmes puissent manquer de logistique et de nourriture, surtout qu’ils assuraient encore la sécurité d’une zone qui était jusque-là maîtrisée par l’État burkinabè. Et les limogeages laissent penser qu’il s’agit bien d’une erreur humaine », souligne-t-elle.

Lors de son adresse à la nation, Roch Kaboré a admis des « dysfonctionnements inacceptables » et annoncé une enquête administrative dont les conclusions lui ont été remises le 30 novembre par le général Aimé Barthélemy Simporé, ministre de la Défense.

En attendant qu’il en tire toutes les conséquences, il a d’ores et déjà promis de « veiller scrupuleusement, plus que par le passé, sur les questions de logistique, de prime et de renforcement des capacités opérationnelles des forces combattantes ».

Mieux, il a assuré que désormais il y aura « la présence effective et active des chefs militaires sur le théâtre des opérations aux côtés de la troupe ».

Un État « essoufflé »

En Côte d’Ivoire, depuis juin 2020, une vingtaine de soldats et gendarmes ont été tués lors d’une demi-douzaine d’attaques. Au Togo, une première attaque terroriste a eu lieu le 9 novembre dernier sans faire de victime. Et enfin au Bénin, le 2 décembre dernier, ce sont deux soldats qui ont été tués.

Toutes ces offensives ont en commun de s’être produites à la frontière de ces trois États avec le Burkina Faso, devenu par la force des choses une base arrière de groupes armés. Ce pays sahélien, fortement ébranlé par le terrorisme depuis six ans, faisait jusque-là office de dernier verrou avant l’accès à ses voisins côtiers du golfe de Guinée.

« Le Burkina Faso semble être essoufflé. L’État a d’un côté la menace terroriste qui ne cesse de grandir et de l’autre des populations révoltées qui l’accuse d’être impuissant pour leur protection. Soit le pays a soit très peu de capacités sur le plan militaire, soit il est tout simplement débordé. La menace terroriste est devenue tellement grande que dans certains cas le but principal des opérations militaires qui sont menées est de lutter contre celle-ci et pas toujours de protéger la population. Ces deux objectifs ne devraient pourtant pas être dissociés. Il y a donc parfois un décalage entre le besoin de sécurité des populations et cette obsession de la lutte contre le terrorisme dans la région », dépeint Déborah Marie-Estelle N’Guessan.

Toutefois, au-delà que la contagion de la menace terroriste aux pays du golfe de Guinée, cette analyste sécuritaire s’inquiète également de « la question du déplacement des populations du Burkina Faso vers ceux-ci, et qui mérite une attention particulière ».

Plus que jamais, la mutualisation des efforts des États ouest-africains s’impose pour faire barrage à l’avancée du terrorisme qui semble inexorable. « La sécurité est un bien commun, et lutter en synergie contre l’insécurité dans un État permet de prévenir chez soi-même l’insécurité. À ce stade, on ne peut plus se permettre de ne pas collaborer et signer des accords bilatéraux », a-t-elle conclu. (fr.sputniknews.com)