Le sommet Afrique-Europe des 17 et 18 février à Bruxelles sera placé sous le signe de la relance économique, deux ans après le début de la crise sanitaire. Face à l’ampleur des attentes, plusieurs leviers doivent être actionnés pour que ce forum ait un véritable impact et une réelle utilité.

C’est à la fois un sentiment d’espoir et une appréhension mêlée de lassitude qui saisit les Africains, alors que leurs dirigeants se réunissent avec les leaders européens. De l’espoir parce que ce sommet crucial entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) porte sur le financement de la relance, et qu’un financement suffisant et durable est exactement ce dont nous avons besoin. De l’appréhension car trop de ces rencontres n’ont eu que peu d’effet ces dernières années, et trop peu de dirigeants, au nord comme au sud de la Méditerranée, ont appréhendé les énormes défis – mais aussi les possibilités encore plus grandes – qui se présentent à nous en ce moment historique à plus d’un titre.

Dans quelques décennies, il y aura environ six fois plus de jeunes en Afrique qu’en Europe. La créativité de notre jeunesse, son dynamisme et sa capacité à résoudre les problèmes seront essentiels pour relever une multitude de défis auxquels le Vieux Continent est déjà confronté aujourd’hui et le sera davantage à l’avenir. Comment nous associer pour lutter contre les changements climatiques et promouvoir la démocratie  ? Comment nous associer pour faire en sorte que les systèmes de santé assurent la sécurité sanitaire des citoyens de toutes les régions  ? Comment le dynamisme de la diaspora africaine pourrait-il contribuer à renforcer le dynamisme de l’Europe  ?

Surcroît d’investissements
Européens et Africains sont d’accord pour dire qu’à l’échelle mondiale nous devons investir en moyenne 2 à 3 % de plus du PIB mondial dans des infrastructures durables pour éviter une catastrophe climatique et assurer une croissance inclusive et créatrice d’emplois. Pour les pays africains, les besoins en investissements sont proportionnellement plus importants parce que le financement de notre reprise a été jusqu’à présent pratiquement inexistant, que nos jeunes ont des aspirations énormes et que nous partons d’un niveau d’investissement et de revenu par habitant bien inférieur.

Le différentiel d’accès aux mesures de relance budgétaire creuse l’écart entre les rythmes de la reprise
Aujourd’hui, il existe une divergence périlleuse et dynamique entre les rythmes de la reprise de nos économies, en ce sens que les taux de vaccination nous éloignent les uns des autres, le différentiel d’accès aux mesures de relance budgétaire creusant l’écart entre les rythmes de la reprise, et que les mesures quantitatives d’assouplissement prises aux États-Unis et en Europe, associées aux pressions inflationnistes, paralysent nos économies. Autant de facteurs qui creusent les inégalités dans le monde et, comme nous le constatons déjà, qui alimentent les conflits, les citoyens exigeant davantage de leurs dirigeants.

Les mesures qui seront adoptées à Bruxelles pour faire face à ces pressions doivent être différentes. Nous avons besoin d’un surcroît d’investissements de l’ordre de milliers de milliards de dollars dans une croissance mutuellement bénéfique, qui soit fondée sur une nouvelle vision, inclusive et créatrice d’emplois verts. Le Plan d’action de l’Union africaine pour la relance verte, combiné à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), constitue le socle sur lequel bâtir ce plan de relance et de réinitialisation.

Une dynamique pour un partenariat plus complet
Les dirigeants africains réunis en Éthiopie en février se sont engagés à accélérer la mise en œuvre de ces programmes. Le sommet de Bruxelles offre à l’Europe l’occasion de s’associer à l’Afrique pour accélérer les mesures à prendre pour bâtir une Afrique prospère. Voici un chemin critique de décisions pratiques que les dirigeants réunis à Bruxelles peuvent prendre pour que le sommet ait immédiatement une utilité et un impact, ce qui contribuera également à créer une dynamique pour une action et un partenariat plus complets avec l’Afrique.

Premièrement, l’Europe doit veiller à ce que les économies africaines puissent résoudre leurs problèmes de liquidités en égalant ou en dépassant l’offre de la Chine de recycler au moins 25  % de leurs droits de tirage spéciaux (DTS), soit 162 milliards de DTS sur les 650 milliards émis. Conformément à l’accord de Paris et à l’appel du président Macron, 100 milliards de dollars (87,8 milliards d’euros) de cette somme devraient être alloués à l’Afrique, y compris aux pays à revenu intermédiaire vulnérables.

Sept pays de l’Union européenne et le Royaume-Uni se sont engagés à recycler des DTS ou des équivalents budgétaires s’élevant à environ 15 milliards de dollars en DTS, mais il en faut davantage, et le sommet de Bruxelles peut contribuer à faire augmenter le nombre d’engagements dans ce sens. Les pays développés n’utilisent pas 94 % de leurs DTS, alors que l’Afrique en consomme 52  % des siens.

C’est ainsi que le Sénégal a eu recours à ses DTS pour financer le développement des capacités de production pharmaceutique. Ces DTS peuvent être recyclés en faveur d’un certain nombre de mécanismes et d’institutions stratégiques, à savoir  : le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance du FMI, auquel les pays qui en ont besoin doivent avoir rapidement accès ; le nouveau fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité, qui est un nouveau mécanisme de liquidité et de durabilité visant à aider à réduire les taux d’intérêt pour les infrastructures durables  ; la Banque africaine de développement et Afreximbank. Ces institutions africaines étant à la pointe de la croissance verte et du commerce régional, leur renforcement permet d’instaurer davantage de confiance et d’égalité dans le partenariat entre l’UA et l’UE.

Des instruments solides pour le désendettement
Deuxièmement, il faut créer de toute urgence un groupe de travail conjoint de ministres africains des Finances pour examiner et réviser le Cadre commun pour le traitement de la dette et réinstaurer l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD). Près d’un an après son annonce et plus de deux ans après le début de la crise, de nombreux pays ayant besoin d’un désendettement ordonné n’ont pas accès à des instruments solides et rapides. Les créanciers européens pourraient également faire preuve d’une plus grande créativité : des remises de dettes en échange de mesures d’adaptation aux changements climatiques pourraient être proposées en option dans ledit Cadre commun. L’instauration d’une initiative de suspension du service de la dette qui soit assortie d’un calendrier et l’élargissement des critères d’admissibilité seront essentiels pour soutenir les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire vulnérables.

Troisièmement, il faut un accord visant à travailler avec les pays africains sur un programme de transition crédible, transparent et juste, qui sera présenté lors de la COP devant se tenir en Égypte. Les pays africains ont signé à l’unanimité l’accord de Paris visant à atteindre l’objectif «  zéro émission nette  » d’ici à 2050. Pour ce faire, l’Afrique a besoin d’un prix mondial du carbone qui soit conforme aux objectifs de Paris, et d’un dialogue plus honnête sur l’adoption d’un mécanisme de compensation des pertes et dommages, afin que les pays climatiquement vulnérables puissent être indemnisés pour les impacts des émissions de carbone actuelles et passées.

L’UE devrait également soutenir l’appel lancé par les dirigeants africains pour que 50 % du financement climatique soit consacré à l’adaptation et proposer des mécanismes d’atténuation du risque de crédit ou des garanties partielles pour accroître les émissions d’obligations vertes et bleues africaines. En outre, pour éviter que les pays africains soient freinés dans leur développement, le gaz pour la cuisson et l’énergie de base doivent faire partie des éléments financés dans le cadre d’une transition juste.
Riposte sanitaire

Quatrièmement, la lutte contre la pandémie de Covid-19 continue mais, aujourd’hui, davantage d’enfants africains meurent du paludisme, ce qui signifie que la riposte sanitaire doit être globale. L’Europe doit intensifier son programme d’investissement dans les capacités de production de vaccins, accepter de partager la propriété intellectuelle avec les fabricants africains et augmenter le financement des systèmes de santé africains.

Le présent somme peut annoncer l’intention collective de l’Europe de faire preuve d’une plus grande générosité et d’œuvrer à une sécurité sanitaire collective
L’Allemagne et les États-Unis s’apprêtent à accueillir des rencontres essentielles sur l’équité en matière de vaccins et la lutte contre la prochaine pandémie. Le présent sommet UA-UE peut donc annoncer l’intention collective de l’Europe de faire preuve d’une plus grande générosité et d’œuvrer à une sécurité sanitaire collective. L’Europe et l’Afrique doivent également soutenir la création d’un dispositif de préparation aux pandémies.

Enfin, l’investissement dans le secteur réel doit rester une priorité. L’Europe et l’Afrique doivent s’engager à approfondir leurs partenariats commerciaux, notamment en soutenant la Zlecaf et le développement de chaînes d’approvisionnement durables, résilientes et à valeur ajoutée. La Zlecaf a créé d’énormes possibilités d’investissement. Par exemple, dans le seul secteur des transports, plus de 400 milliards de dollars d’investissements sont nécessaires pour tirer pleinement parti de cette zone de libre-échange. Des initiatives conjointes africo-européennes, notamment dans les domaines de l’énergie, des transports et de la numérisation, pourraient contribuer à accélérer ces investissements, à créer des emplois, à transférer des technologies et à améliorer les moyens de subsistance de tous, en particulier des jeunes et des PME. Le projet «  Global Gateway  » récemment annoncé est une initiative bienvenue. La numérisation est un pilier essentiel pour accélérer le développement et les pays africains attendent avec impatience de pouvoir accéder, sur un pied d’égalité, aux meilleures technologies mondiales pour réaliser leurs ambitions.

En contrepartie, les États africains doivent continuer à améliorer leurs systèmes de gouvernance. Les mesures cruciales à prendre concernent l’amélioration de la mobilisation des ressources intérieures, la lutte contre les flux financiers illicites et l’ouverture de l’espace civique pour des dialogues plus inclusifs. Il demeure important de faciliter la participation du secteur privé et, en particulier, d’encourager l’esprit d’entreprise des jeunes en s’appuyant sur des initiatives telles que Compact with Africa.

Le sommet de Bruxelles est l’occasion de renforcer la confiance après deux années difficiles où le multilatéralisme a cédé la place au nationalisme
Nos objectifs mondiaux, le Programme 2030 et les accords de Paris, associés à nos aspirations continentales énoncées dans l’Agenda 2063, constituent la base d’un partenariat collectif, solide et fructueux. Le sommet de Bruxelles est l’occasion de renforcer la confiance après deux années difficiles où le multilatéralisme a cédé la place au nationalisme. L’Europe et l’Afrique ne doivent pas laisser passer cette occasion de relancer et de réinitialiser leurs relations et leurs économies. (Jeune Afrique)