Pour la première fois, le sort des tirailleurs sénégalais en 14-18 fait l’objet d’un film grand public. Avec comme producteur et premier rôle, l’acteur préféré des Français, désormais star internationale.

« On n’a pas tous la même mémoire, mais on a tous la même histoire » : prononcée sur la scène du palais des festivals de Cannes par Omar Sy, juste avant la première mondiale de Tirailleurs, qui faisait l’ouverture de la sélection officielle Un Certain regard, cette phrase est appelée à devenir culte. Non seulement sur la Croisette, mais partout dans le monde, tant elle a été reprise par tous les médias de la planète. Elle posait, il est vrai, une vérité on ne peut plus judicieuse pour évoquer l’enjeu de ce film sur l’histoire des tirailleurs sénégalais, à travers le destin de deux d’entre eux, père et fils, dans lequel s’est totalement impliqué le plus populaire des acteurs français.

Langue maternelle

Cela fait en effet plus de dix ans qu’Omar Sy soutient ce projet. En 2011, alors qu’il tourne ce qui deviendra son plus grand succès au grand écran et en fera une star, le long-métrage Intouchables, il évoque avec le chef opérateur, Mathieu Vadepied, qui ambitionne alors de devenir réalisateur, un projet encore vague qui leur tient à cœur à tous deux : l’histoire des tirailleurs sénégalais en première ligne, notamment à Verdun, pendant les combats de la Seconde Guerre mondiale.

Petit à petit, l’affaire prend corps. Omar Sy, qui au départ envisageait d’agir « seulement » comme producteur, puis qui devait incarner le personnage du fils, Thierno, incarnera finalement Bakary, le père. Tenant à jouer dans sa langue maternelle, celle qu’il a toujours utilisée avec ses parents, il parle le peul d’un bout à l’autre du long-métrage.

Sans un sourire

S’il a su, avec talent, faire le show sur les marches du palais des festivals et sur la scène de la salle Debussy, Omar Sy est beaucoup plus en retenue sur le grand écran. Pas même un sourire. Il faut dire que son personnage tient autant du héros – on le verra ramper au péril de sa vie hors de sa tranchée pour récupérer le corps d’un compatriote tué par les Allemands – que de l’anti-héros.

Recruté de force dans son village du Sénégal, il n’a rejoint l’armée française que pour tenter d’organiser la désertion de son fils. Puis, quand cela est devenu impossible, pour le protéger – il a promis à sa femme de le ramener vivant. Deux échecs. Car Thierno, qui s’est pris au jeu de la guerre sur le front, se voit bien en soldat héroïque, prenant tous les risques pour conquérir une colline stratégique tenue par l’ennemi. Au point d’obtenir la reconnaissance de son officier français et d’être promu à un grade supérieur à celui de son père.

Combler un manque

Le film, on l’a compris, se veut à la fois un document poignant sur ce qu’ont vécu les tirailleurs, raconté de leur point de vue, et le témoignage d’un conflit père-fils, parfois feutré, parfois ouvert. Un choix qui ne profite malheureusement ni à l’un ni à l’autre et empêche partiellement d’explorer autant qu’on pourrait le souhaiter l’histoire des tirailleurs.

Certes, il ne fallait pas, comme le dit à juste titre Omar Sy, « écraser le récit » sous « son contexte historique », mais à trop se concentrer d’un côté sur l’histoire familiale de Thierno et Bakary et ses avatars, de l’autre sur de multiples scènes de guerre terribles mais sans originalité, le long-métrage donne souvent l’impression d’oublier l’aspect totalement spécifique de son sujet. De vouloir encourager le spectateur, en fait, à uniformiser à la fois l’Histoire – la même pour tous en effet – et son vécu.

En ayant décidé avec le réalisateur, dit-il encore, que Tirailleurs devait être « un film de guerre avec beaucoup de paix », Omar Sy ne propose-t-il pas une œuvre trop apaisée pour aborder un tel sujet ? À l’inverse d’un Ousmane Sembene et de son chef d’œuvre Camp de Thiaroye, sur l’histoire dramatique des tirailleurs floués et pour certains massacrés par l’armée française lors de leur démobilisation après la Seconde Guerre mondiale, Tirailleurs se veut un film encourageant la réconciliation des mémoires. Il n’empêche qu’en racontant l’histoire de Thierno et Bakary, même sous cette forme convenue, il fait plus qu’œuvre utile : c’est le premier film destiné à un très large public sur le sujet des tirailleurs. Il fallait combler ce manque, c’est fait. Et de manière estimable. (jeuneafrique)