Le réchauffement diplomatique entre la République démocratique du Congo et l’ancien colonisateur, la Belgique, s’est accéléré il y a deux ans, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance du géant d’Afrique centrale. Le roi des Belges, Philippe, avait alors adressé une lettre au président Tshisekedi exprimant ses « profonds regrets » pour les « blessures » causées par la colonisation. Le souverain, qui règne depuis 2013, avait regretté les « actes de violence et de cruauté » commis à l’époque où son ancêtre Léopold II avait fait du Congo sa propriété personnelle (1885-1908), avant le demi-siècle de présence de l’État belge dans l’immense pays d’Afrique centrale. Le jour de la fête nationale belge, c’était le président Félix Tshisekedi qui s’engageait dans un courrier officiel à « ?uvrer à la consolidation des relations séculaires qui unissent pour l’éternité [leurs] deux pays et [leurs] deux peuples ».
La relation belgo-congolaise à un tournant
La visite royale d’une semaine, la première depuis celle en 2010 d’Albert II, père de Philippe, a été deux fois reportée, en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19, puis au début de cette année en raison de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine. Si elle intervient sur fond de travail de mémoire et de réconciliation entre la Belgique et son ancienne colonie, cette visite est également à inscrire dans un contexte global où le débat mémoriel reste brûlant en Europe comme aux États-Unis. Dans le sillage de la mort de l’Afro-Américain George Floyd, et du mouvement Black Lives Matter, des manifestations avaient eu lieu en 2020 en Belgique avec des déboulonnements de statues de Léopold II, une commission parlementaire avait aussitôt été chargée de travailler sur la question. L’objectif est d’établir les responsabilités de l’État, mais aussi des entreprises, de l’Église et de la monarchie pendant cette période (1908-1960) et dans les pays voisins Rwanda et Burundi.
« Il y a eu des regrets, c’est le début d’un nouveau partenariat qui va aller en se consolidant », a estimé lundi soir à Kinshasa devant la presse le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, lors d’un briefing consacré à cette visite. « Nous n’oublions pas le passé, nous regardons l’avenir », a-t-il ajouté, en se félicitant des « relations raffermies » avec la Belgique, alors qu’elles étaient « par le passé au bord de la rupture ». La relation fut difficile entre les deux pays durant la fin de la présidence du prédécesseur de Félix Tshisekedi, Joseph Kabila, qui a dirigé de 2001 à 2018, critiqué y compris par Bruxelles pour s’être maintenu au pouvoir au-delà de son deuxième mandat, en violation de la Constitution. La coopération avait été un temps suspendue.
« Je pense que, parfois, pour pouvoir construire un bon futur, il faut affronter le passé », a également déclaré à la RTBF le Premier ministre belge Alexander De Croo, mardi matin avant son départ de Bruxelles pour Kinshasa, en évoquant lui aussi « la lettre tout à fait historique » du roi Philippe. Aller en RDC et porter « un message en prolongement de cette lettre est un moment très, très important, [?] un moment historique », a-t-il ajouté.
Restitution, coopération : à la quête d’un nouveau souffle
Le passé colonial, avec entre autres la question de la restitution des ?uvres d’art à l’ancienne colonie (le 18 mai, un projet de loi « reconnaissant le caractère aliénable des biens liés au passé colonial de l’État belge » a été adopté en commission parlementaire, NDLR), devrait de nouveau être évoqué durant ce voyage du roi qui, selon le palais royal belge, veut aussi donner un « nouveau souffle » au partenariat avec Kinshasa. Santé, éducation, formation, protection des forêts? Philippe et son épouse devraient avoir un aperçu des secteurs où s’exerce l’aide au développement. La Belgique est le quatrième bailleur de fonds de la RDC, après les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Le voyage du roi comprendra trois étapes : Kinshasa d’abord, avec notamment une visite mercredi au musée national et un discours sur l’esplanade de l’Assemblée nationale ; Lubumbashi dans le sud-est minier, avec une intervention vendredi devant les étudiants de l’université, et Bukavu, dans l’est, région en proie depuis près de trois décennies aux violences de groupes armés. Le roi doit visiter dimanche dans un quartier périphérique de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, la clinique du gynécologue Denis Mukwege, co-lauréat du prix Nobel de la paix en 2018 pour son action en faveur des femmes victimes de viols.
Ce déplacement du roi Philippe intervient en plein regain de tension entre la RDC et son voisin le Rwanda, accusé par Kinshasa de soutenir une ancienne rébellion réapparue en fin d’année dernière et que de violents combats ont opposée fin mai à l’armée congolaise dans la province voisine du Nord-Kivu. Kigali dément, mais Félix Tshisekedi a assuré dimanche n’avoir « aucun doute » sur ce soutien. (Le Point)