Cinq mois après le début de l’offensive de la Russie, précarité et insécurité administrative sont le lot des jeunes Africains qui ont quitté l’Ukraine et tentent de s’installer ailleurs en Europe. Nos dirigeants doivent collectivement leur venir en aide.

En février dernier, les images insoutenables d’actes de racisme sur des ressortissants africains avaient fait le tour du monde. Parmi ces derniers figuraient notamment de jeunes étudiants, violemment brimés aux frontières de l’Ukraine qu’ils essayaient de franchir, ou aux abords de trains qui quittaient ce pays : ils n’étaient pas jugés aussi prioritaires dans leur fuite que les autres.

Aujourd’hui, l’on assiste à un autre épisode malheureux. Après avoir échappé aux canons et aux bombardements en Ukraine – parfois au prix de profonds traumatismes – pour trouver refuge ailleurs sur le Vieux continent, c’est contre la précarité et l’insécurité administrative qu’ils sont désormais nombreux à batailler. Après leur avoir accordé une brève protection temporaire, plusieurs États européens ordonnent aux étudiants africains qui ne remplissent pas les conditions d’obtention d’un titre de séjour de quitter leurs territoires, considérant que leurs pays d’origine ne sont, pour la plupart, pas en guerre.

Titre de séjour : un si rare sésame

En effet, pour séjourner durablement dans un pays européen, ces jeunes Africains doivent introduire des demandes de titres de séjour selon les modalités de droit commun. En France par exemple, ils n’ont d’autre choix que de demander un titre de séjour ou de déposer une demande d’asile pour ne pas se retrouver en situation irrégulière. Toutefois, les chances d’obtention d’un titre de séjour sont faibles en raison des conditions strictes exigées. Il en est de même pour la demande d’asile, qui a peu de chance d’aboutir dans la mesure où celle-ci sera étudiée au regard de la situation des pays d’origine desdits étudiants et non pas de la situation en Ukraine.

Deux constats factuels et quelque peu troublants découlent de ces cas éprouvants. Le premier, c’est le double standard des pays européens, bien loin des discours de leurs hauts représentants lors de sommets successifs Afrique-Europe, rappelant l’importance stratégique de la relation avec l’Afrique et la volonté d’engager cette dernière dans le « camp du bien », dans la croisade contre le « méchant agresseur russe ». La cohérence aurait voulu un traitement strictement égal entre Africains et Ukrainiens, ce qui, au passage, aurait nourri l’empathie d’une partie de l’opinion publique africaine. C’est sans doute une faute politique que l’histoire n’ignorera pas.

Créer un groupe d’envoyés spéciaux africains

Le second constat, et c’est le plus important, porte sur la difficulté pour les États et institutions d’Afrique à apporter une réponse à la hauteur des enjeux de leur jeunesse où qu’elle se trouve. Faute d’anticipation, de réaction plus robuste et de coordination, des centaines de milliers d’étudiants africains sont livrés à eux-mêmes lorsqu’ils sont pris dans les tourments d’une crise comme celle de la pandémie de Covid-19. Or, derrière chacun d’eux, c’est un projet de vie, des ambitions et des rêves, voire l’espoir de familles entières, qui sont dangereusement compromis. La récente tournée du président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall, en Russie et plus récemment au G7, portant sur la question de l’approvisionnement alimentaire du continent offrait l’occasion de soulever la question de l’abandon de cette jeunesse et de porter un message politique fort en faveur de ces étudiants.

L’urgence du moment, au-delà des condamnations des actes discriminatoires ainsi que des initiatives salutaires de personnes de bonne volonté est de répondre collectivement et intelligemment à ce défi, pour garantir les conditions d’un retour à une vie normale, la continuité pédagogique et renforcer durablement les capacités du continent à offrir à sa jeunesse des cadres de formation d’excellence et de réussite professionnelle sur le continent. Pour cela, des pistes de solutions peuvent être explorées.

En premier lieu et à court terme, il faut amplifier l’accès à l’information et aux droits, capital pour accompagner ces jeunes plongés dans une détresse administrative en raison de la situation inédite qu’ils vivent. C’est le sens de la plateforme initiée par Initiative for Africa (IFA) et le think tank Molongwi, destinée d’une part à centraliser l’ensemble des initiatives de soutien aux étudiants africains fuyant l’Ukraine, et d’autre part, à mettre en relation les bonnes volontés et ces jeunes. Nous devons amplifier et multiplier ce genre d’outils.

En second lieu, sur un plan politique, nous estimons impérieux, au regard de la place importante de la jeunesse dans l’agenda de l’Union africaine et, à l’instar des initiatives continentales prises lors de la crise du Covid, de créer un organe ou nommer un groupe d’envoyés spéciaux du continent africain réunissant un groupe de personnalités qualifiées à même de réfléchir et répondre aux conséquences économiques, alimentaires et énergétiques et plus largement humaines. La question éminemment importante de la formation et de la situation des ressortissants africains, en particulier des jeunes étudiants, devra figurer comme l’une des priorités du mandat de cette institution ad hoc.

Former nos élites sur le continent

Enfin, dans une perspective de moyen et long terme, la question de l’excellence académique en Afrique ne saurait être éludée. La présente crise la pose avec une singulière acuité. Comment expliquer que se perpétue ce système de délégation de la formation des futures élites du continent à l’étranger ? Et comment expliquer que l’option d’un retour en Afrique proposée à plusieurs de ces jeunes a été largement exclue par ces derniers, en raison des insuffisances du système de formation sur le continent ?

Le conflit actuel en Ukraine comme les autres avant est un énième appel au sursaut : la transformation du continent demande de bâtir en Afrique, les structures et systèmes de notre autonomie stratégique. Il n’y a pas de raccourci. Sinon nous continuerons à sous-traiter aussi notre développement. Il n’est pas trop tard ! (Jeune Afrique)