Attaque kamikaze au cœur du pouvoir malien, incursions de plus en plus au sud : les djihadistes de la nébuleuse sahélienne d’Al-Qaïda ont accentué ces derniers jours la pression sur la junte malienne, avec une coordination des opérations inédite.
Dans un contexte de détérioration continue de la situation sécuritaire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest rongé par la guerre depuis 2012 et secoué par deux coups d’État en deux ans (2020, 2021), le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM, JNIM en arabe), affilié à Al-Qaïda, ne fait qu’étendre son influence.
Dernier fait d’arme marquant : deux véhicules piégés ont foncé vendredi sur un bâtiment de l’armée à Kati, ville-garnison à 15 km de Bamako et cœur de l’appareil militaire malien, tuant un soldat.
C’est la première fois qu’une cible de cette importance stratégique et symbolique est atteinte par les djihadistes d’Al-Qaïda, qui s’en prenaient davantage ces dernières années aux postes de sécurité en zone rurale et périurbaines, dans le nord et le centre du pays.
Comme « une façon de dire (aux autorités) qu’ils peuvent frapper partout, aussi loin que possible » de leur base, souligne un observateur malien de la situation sécuritaire à Sévaré (centre).
La veille de l’attaque de Kati, six attaques coordonnées étaient simultanément lancées dans le centre et le sud du pays, à 5 h. Une première. Ces régions du sud (Sikasso, Koulikoro, Kayes), autrefois épargnée par les fantassins du djihad, sont désormais une cible.
La plupart des attaques y sont revendiquées par le GSIM, créé en 2017 par la fusion de plusieurs factions : Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi, pionnier du djihad sahélien, né en Algérie en 2007), les groupes Ansar Dine du Malien Iyad Ag Ghali et Al-Mourabitoune de feu Mokhtar Belmokhtar, et la Katiba Macina d’Amadou Koufa.
Pour un spécialiste des groupes djihadistes à l’ONU, la stratégie du GSIM est de « fixer loin du nord du Mali l’attention et les forces » armées maliennes. Et au sud du pays, d’utiliser la « même stratégie de contagion qui a réussi avec le centre », au détail prêt que la nébuleuse peut désormais jouir des liens ténus entre katibas.
Les récentes attaques, bien que « leurs résultats soient modestes compte tenu des moyens déployés », ont prouvé le « haut niveau de coordination » du GSIM et que l’alliance n’était pas qu’« une simple coalition de groupes disparates », estime Héni Nsebia, chercheur au sein du Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled).
Cette coordination aux centre et sud maliens est permise par « une importante liberté de mouvement », note-t-il, dûe au « fait que le GSIM contrôle ou exerce une forte influence sur un vaste territoire de la sous-région, en particulier le long de la frontière entre Mali et Burkina Faso ».
Selon un récent rapport de l’ONU, ce « couloir vers le sud » permet au GSIM de « s’étendre vers la côte atlantique », notamment aux Bénin et Togo où les attaques se multiplient.
Les méthodes du GSIM, ajoute l’ONU, « contrastent avec la violence aveugle » de l’organisation État islamique, également active au Mali. Dans les brousses désertiques de Kidal et de Tombouctou dans le nord, où son implantation est forte, le GSIM cherche à implanter une gouvernance parallèle à celle de l’État, disent plusieurs sources locales.
Ils « cherchent à convaincre » les populations d’adhérer à leur vision sociétale, juge un acteur de la sécurité à Tombouctou, « en proposant une justice islamique, un accès aux soins et à la sécurité ».
Début 2020, sûr de ses acquis, Ag Ghali, le chef du GSIM, s’était dit ouvert à des pourparlers avec Bamako, « entre frères », à condition que la France et l’ONU retirent leurs troupes du Mali. Depuis, des militaires ont remplacé les civils à la tête du pays et les derniers soldats français quittent le pays, remplacés par des alliés russes.
Dans le centre du Mali, les combats sont âpres entre les fantassins estampillés GSIM de la Katiba Macina et les forces du régime et les supplétifs du groupe de sécurité privé russe Wagner. Les civils, pris en tenaille, paient le prix fort. Fin juin, au moins 132 d’entre eux sont morts dans une des pires tueries depuis le début du conflit.
L’armée, qui annonce chaque semaine des bilans humains aussi importants qu’invérifiables à ses opérations, a plusieurs fois annoncé que le groupe djihadiste était « aux abois ».
« Si vous avez le droit d’engager des mercenaires pour tuer des innocents sans défense, alors nous avons le droit de vous détruire et de vous cibler », a répondu samedi l’organe de propagande du GSIM dans son message de revendication des attaques de Kati. (euronews)