Au lendemain du coup d’Etat au Niger, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a tenu, en urgence, le 30 juillet dernier, un sommet extraordinaire à Abuja, à l’issue duquel elle a donné un ultimatum d’une semaine aux putschistes pour restaurer l’ordre constitutionnel en rendant le pouvoir au président Mohamed Bazoum renversé quatre jours plus tôt par le chef de la garde présidentielle. Un discours qui se veut d’autant plus ferme que joignant l’acte à la parole, l’institution sous-régionale a pris contre les putschistes de Niamey, une batterie de sanctions allant de la « suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre Etats membres de la CEDEAO et le Niger » au « gel des avoirs de la République du Niger dans les banques commerciales de la CEDEAO », en passant, entre autres, par la « suspension du Niger de toute aide financière et transaction avec toutes les institutions financières, notamment la BIDC et la BOAD » et « l’institution d’une zone d’exclusion aérienne de la CEDEAO sur tous les vols commerciaux à destination et en provenance du Niger ».

La CEDEAO joue son va-tout au Niger où un éventuel échec serait catastrophique pour son image et son autorité

En plus, l’institution sous-régionale n’exclut pas l’option d’une intervention militaire si son ultimatum n’est pas respecté par les putschistes. Des mesures pour le moins drastiques qui, au-delà de la volonté de faire lâcher prise aux tombeurs de Mohamed Bazoum, traduisent la détermination de la CEDEAO à redorer son blason quelque peu terni par les précédents malien, guinéen et burkinabè qui sont autant de transitions militaires en cours que d’épines dans le pied de l’institution d’Abuja. Autant dire qu’une fois de plus, la CEDEAO joue sa crédibilité dans sa volonté de jouer les gendarmes de la démocratie dans son espace géographique. Et tout porte à croire qu’elle joue son va-tout au Niger où un éventuel échec face à la junte qui s’est emparée du pouvoir dans les conditions que l’on sait, serait non seulement catastrophique pour son image et son autorité, mais aussi serait fortement préjudiciable à la démocratie qui se réduit comme peau de chagrin en Afrique de l’Ouest pour faire place aux régimes d’exception. Toujours est-il qu’en frappant fort le Niger par ces sanctions économiques et financières d’une rare lourdeur, tout porte à croire qu’au-delà du combat pour son honneur, la CEDEAO ne veut pas avoir une autre transition à gérer. La question est maintenant de savoir si ses sanctions qui apparaissent comme autant de mesures coercitives, seront suffisamment dissuasives pour le général Abdourahamane Tchiani et ses compagnons d’armes, à l’effet de les faire battre en retraite. La question est d’autant plus fondée que dans le bras de fer qui les oppose à la CEDEAO qui joue son honneur, les tombeurs de Mohamed Bazoum ne sont pas loin de jouer leur survie. Et l’on se demande s’ils ne sont pas allés trop loin dans leur coup de force contre la République, pour reculer au moment où la question de leur sort ne manquerait pas de se poser s’ils venaient à fléchir face aux injonctions de la CEDEAO.

Quelle que soit l’issue de ce bras de fer, il y aura des leçons à tirer du renversement du successeur de Mahamadou Issoufou

En même temps, quelle que soit l’apparence populaire que puisse prendre ce coup d’Etat, on se demande si la junte au pouvoir à Niamey aura la musette suffisamment large et les godasses solidement nouées pour tenir face à la pression internationale et aux sanctions de la CEDEAO. D’autant qu’au-delà de la CEDEAO, l’Union africaine (UA) est aussi allée de son ultimatum, de quinze jours celui-là, pour le rétablissement de « l’autorité constitutionnelle » au moment où Washington a fait cas de son « indéfectible soutien » à Mohamed Bazoum en mettant en avant le fait que le coup d’Etat mettrait en péril le « partenariat » entre les Etats-Unis et le Niger. C’est dire si la pression se fait de plus en plus forte sur la junte. Mais le dernier mot revient maintenant aux putschistes de Niamey. Se laisseront-ils impressionner par l’épouvantail des sanctions internationales ? Ou bien continueront-ils de raidir la nuque face à la CEDEAO qui, en sortant ses griffes et ses crocs, semble avoir abattu à la fois le maximum de cartes dans l’espoir de parvenir à ses fins ? L’histoire sans doute ne tardera pas à nous édifier sur la question. En attendant, c’est le recours de la CEDEAO à la médiation du président de la transition tchadienne, le général Mahamat Idriss Deby Itno dont le pays ne fait pourtant pas partie de l’organisation sous-régionale, mais qui était invité au sommet d’Abuja, pour parler à son homologue nigérien, qui ne manque pas d’interroger. L’institution sous-régionale manque-t-elle à ce point de compétences en son sein à moins que ce ne soit de volontaires pour porter le fardeau nigérien ? Quid du président béninois, Patrice Talon, qui était annoncé au départ pour mener la médiation et dont tout porte à croire qu’il a tourné les talons ? Autant de questions qui amènent à se demander si la carte Deby fils ne procède pas de négociations souterraines visant à ménager aux putschistes de Niamey, la porte de sortie d’un hypothétique exil au pays des Deby, à l’effet de mieux les décider à lâcher prise. En tout état de cause, pour une institution qui ne cesse de chanter son attachement à l’ordre constitutionnel, on comprend mal que la CEDEAO ait recours à la médiation du président de la transition tchadienne dont l’accession au pouvoir est loin de répondre au respect des règles constitutionnelles. Mais ne dit-on pas que la fin justifie les moyens ? En attendant, quelle que soit l’issue de ce bras de fer, il y aura des leçons à tirer du renversement du successeur de Mahamadou Issoufou.

« Le Pays »