Ces derniers mois, la diplomatie française a été mise à rude épreuve sur le continent africain. Pour Anas Abdoun, il ne reste quasiment plus rien du prestige d’antan de Paris. Un discrédit qui tient également à l’histoire coloniale du pays.

Les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon, ainsi que les crises diplomatiques avec le Maroc et les tensions récurrentes avec l’Algérie, témoignent de la difficulté que rencontre Paris à maintenir son influence dans une région qu’elle considérait autrefois comme son pré carré.

Au-delà des rivalités et des influences internationales en jeu sur le continent, ces revers diplomatiques semblent signaler la fin de l’influence française. Ils conduisent à mettre en doute la capacité de la France à conserver son statut de puissance moyenne et nous renvoient aux enseignements de la crise de 1956, lorsque Paris a compris que l’ordre international avait évolué à son désavantage.

Obstination anachronique

Cette année-là, la France, en collaboration avec le Royaume-Uni et Israël, décide d’attaquer l’Égypte en réponse à la nationalisation du canal de Suez par Gamal Abdel Nasser. Cette intervention militaire franco-britannique est vivement critiquée par Moscou et Washington, qui rappellent aux deux anciennes puissances du XIXe siècle que leur époque est révolue. Le Royaume-Uni accepte rapidement son nouveau statut de puissance moyenne et poursuit sa stratégie de décolonisation en utilisant le Commonwealth.

En revanche, la France opte pour une obstination anachronique en cherchant à préserver son empire, au moyen notamment de la guerre d’Algérie, qui dure huit longues années et est marquée par une violence extrême. En 1962, l’Algérie accède finalement à l’indépendance. Plus de vingt ans après sa sévère défaite face à l’Allemagne nazie, la France doit reconnaître la fin de son statut de puissance dominante. Les élites politiques du pays sont contraintes de s’adapter – non sans difficultés – à ce nouveau statut de puissance moyenne, plus conforme à la réalité économique, diplomatique et militaire de la France des années 1960.

Les événements récemment survenus en Afrique semblent désormais marquer la fin de l’influence de l’Hexagone, car ils sapent les fondements de sa puissance moyenne. Cette influence reposait sur trois piliers : le statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, la puissance militaire et l’influence en Afrique, les deux derniers étant étroitement liés.

Certes, Paris conserve son statut de membre permanent au Conseil de sécurité, mais le prestige et l’influence de ce dernier ont considérablement diminué au fil des années. Avec l’émergence de nombreuses puissances régionales et la multipolarité du monde, le Conseil de sécurité apparaît de plus en plus marginalisé dans les affaires internationales, alors qu’autrefois il tranchait la grande majorité des conflits mondiaux.

Le conflit du Haut-Karabagh, la guerre civile en Libye et son lot d’ingérences, les intrusions de la Turquie en Iraq, et, naturellement, la guerre menée par la Russie en Ukraine, sont autant de conflits qui se sont déroulés loin de toute résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. De plus, l’émergence de puissances moyennes importantes, qui échappent aux sanctions en raison de leur poids économique, a également affaibli l’influence du Conseil de sécurité.

Capacité militaire limitée

En ce qui concerne la puissance militaire, les coupes budgétaires des deux dernières décennies ont porté atteinte à la capacité militaire de la France, en particulier en ce qui concerne la logistique et la projection de forces. Ainsi, lors de l’intervention en Libye dans laquelle le président Nicolas Sarkozy avait engagé l’armée française aux côtés des Britanniques, Paris avait fait appel, au bout de 72 heures de bombardements seulement, à l’US Navy pour son ravitaillement en munitions.

Par ailleurs, l’utilisation de la force militaire comme moyen d’influence politique est devenue de plus en plus limitée dans un monde en mutation, où les conflits sont souvent influencés par des opérations d’information et d’ingérence plutôt que par des opérations militaires classiques.

L’armée française a indéniablement joué un rôle prépondérant sur le continent africain depuis les indépendances des pays de la région, en soutenant ses intérêts politiques. La simple présence de bases militaires françaises en Afrique conférait à la France une influence diplomatique significative, car elle représentait un outil pour appuyer un gouvernement en place ou contrer les menaces qui pesaient sur celui-ci.

Cependant, comme nous l’avons récemment constaté avec les coups d’État survenus dans la région, la présence militaire seule ne peut rien contre les opérations d’information et d’ingérence. D’autant que les opérations militaires courantes dans les années 1970 et 1980 ne sont plus reproductibles aujourd’hui, a fortiori dans les anciennes colonies, sans que cela ne soit perçu – à tort ou à raison – comme relevant d’une manœuvre néocolonialiste.

En conséquence, si les forces armées, bien que supérieures en nombre et en équipement, n’interviennent pas en raison de craintes liées à la communication politique qui en découlerait, l’armée se retrouve de facto impuissante.

C’est précisément ce qu’il s’est produit récemment au Burkina Faso, au Mali et au Niger, avec les demandes de départ des troupes françaises. Les gouvernements locaux ont été confrontés à des pressions internes et externes, notamment des accusations de dépendance néocoloniale à l’égard de la France, ce qui a compliqué la gestion de la présence militaire française sur leur territoire. Cette situation a montré les limites de l’influence militaire dans un contexte dans lequel les enjeux politiques et médiatiques prennent de plus en plus le pas sur les opérations militaires traditionnelles.

Prestige amoindri

Malgré l’affaiblissement du rôle du Conseil de sécurité et celui de sa propre puissance militaire, il restait jusqu’il y a peu à la France son influence en Afrique pour légitimer son statut de grande puissance. Or, les récents coups d’État au Sahel, les tensions diplomatiques avec les pays du Maghreb et la perte de présence économique des entreprises françaises en Afrique de l’Ouest au profit de la Chine, de la Turquie et du Maroc ont considérablement amoindri le prestige français sur le continent.

De plus, la montée de l’anglais au détriment du français dans la francophonie, comme en témoigne l’adhésion du Gabon au Commonwealth, souligne le déclin de l’influence culturelle française en Afrique.

En fin de compte, de nombreux facteurs expliquent cette perte d’influence française. Il y a d’abord la mutation de l’ordre international et un rééquilibrage des rapports de force qui s’effectue. La réforme du Quai d’Orsay a incontestablement accéléré la perte d’influence avec le remplacement des diplomates au fait des complexités régionales par d’autres acteurs de la société civile.

Manque de tact diplomatique

Et puis, il y a sans aucun doute une part qui est propre au président Emmanuel Macron, qui semble avoir perdu la confiance de ses homologues par manque de tact diplomatique – en témoignent ses conférences de presse au Burkina Faso ou en RD Congo – ou faute de compréhension des mutations géopolitiques, avec notamment la nouvelle doctrine diplomatique du Maroc sur le Sahara.

Cette évolution remet en question la place de la France en tant que puissance majeure sur la scène internationale. Paris peine de plus en plus à affirmer son influence diplomatique, économique et culturelle sur le continent africain. Cette situation affecte également sa perception en tant que puissance moyenne, non seulement aux yeux des pays influents, émergents, mais aussi aux yeux de ses anciennes colonies, lesquelles ont opté pour une diversification de leurs partenaires internationaux.

En Afrique, la France d’Emmanuel Macron en perte d’influence (msn.com)