En Guinée, les couteaux sont tirés entre le pouvoir du Général Mamady Doumbouya et les syndicats qui ont lancé, le 26 février dernier, un mouvement de grève générale illimitée. Ils réclament, au-delà de la libération du Secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée, Sékou Jamal Pendessa, la baisse des prix des produits de première nécessité ainsi que la fin de la censure des médias et la levée des restrictions des réseaux sociaux. Un durcissement de ton des partenaires sociaux qui intervient dans un contexte de fortes tensions où le pouvoir est resté sourd aux appels au dialogue lancés par le patronat et les leaders religieux. Toujours est-il que le premier jour de ce mouvement de débrayage généralisé apparaissait comme une journée test de la capacité de mobilisation des syndicats et du degré de suivi du mouvement sur l’ensemble du territoire national. Et le mouvement se veut d’autant plus un message ferme au gouvernement qu’il concerne les travailleurs de tous les secteurs d’activités, du public comme du privé ainsi que les travailleurs du secteur informel. C’est dire si au-delà des syndicats, c’est pratiquement tout le peuple guinéen qui se sent concerné par cette grève et qui est engagé dans la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail.
La confiance semble rompue entre les populations et le locataire du palais Sekoutoureya
Comment peut-il en être autrement quand les partenaires sociaux ne sont pas seuls dans cette lutte où les Forces vives de Guinée, cette association de partis politiques et d’organisations de la société civile, ont aussi appelé leurs militants au respect du mot d’ordre de grève ? Et ce, au moment où le pays est toujours sans gouvernement, une semaine après la dissolution de l’équipe du Dr Bernard Goumou par le chef de l’Etat. Mais en se hâtant lentement pour mettre en place un nouvel Exécutif à l’effet de trouver une solution à la crise, on se demande si le président Mamady Doumbouya a pris toute la mesure de l’urgence et de la gravité de la situation. La question est d’autant plus fondée que les signaux, aujourd’hui sont au rouge en Guinée où la confiance semble rompue entre les populations et le locataire du palais Sekoutoureya qui, de messie ayant suscité l’espoir en renversant le Professeur Alpha Condé dans les conditions que l’on sait, n’est pas loin de se muer en tyran, utilisant les mêmes méthodes de répression barbare et systématique des manifestations sur fond de brimades contre les populations, d’embastillement des opposants et autres leaders syndicaux ou de la société civile, de musellement des voix discordantes, de restriction des libertés individuelles et collectives et on en oublie. Si fait qu’aujourd’hui, on se pose la question : où va la Guinée ? C’est à se demander si au-delà de la volonté de confiscation du pouvoir qui transparaît dans ses actes, le Général Doumbouya a un plan pour son pays. On peut d’autant plus en douter qu’en deux ans et demi au pouvoir, il peine non seulement à donner de la lisibilité à son action à la tête de l’Etat, mais aussi et surtout il a réussi à se mettre le peuple à dos si des politiques aux syndicats en passant par la société civile, il ne fait pas l’unanimité contre lui.
Aucun dirigeant, aussi puissant soit-il, n’est déjà venu à bout d’un peuple déterminé
Toujours est-il que depuis l’avènement du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) au pouvoir en septembre 2021, cette grève générale illimitée est le premier grand mouvement de grogne sociale déclenché par les syndicats contre la junte. Et Dieu seul sait jusqu’où iront ces récriminations contre le pouvoir du général autoproclamé-président, dans un pays habitué aux violences politiques. Déjà, durant la journée inaugurale d’hier où le pays a été mis sous cloche, la tension était perceptible à Conakry, la capitale, où l’on enregistrait une présence remarquée de forces de l’ordre et une fluidité inhabituelle de la circulation. Mais le mouvement, à en croire de nombreuses sources, a été largement suivi avec un impact visible sur les activités économiques mais aussi académiques, les établissements financiers mais aussi scolaires ainsi que les commerces, ayant baissé pavillon. Et si la tendance se maintient dans les jours à venir, c’est peu de dire que le pays court à la paralysie. Et on attend de voir quelle sera la réaction du président Doumbouya qui est aujourd’hui plus que jamais dans la tourmente. Descendra-t-il de son piédestal pour prêter une oreille attentive aux revendications de son peuple ? Ou bien continuera-t-il à raidir la nuque avec tous les risques de dérapages de la situation que cela comporte ? Lui seul, pour l’instant, pourrait répondre à cette question. En attendant, l’histoire a souvent montré qu’aucun dirigeant, aussi puissant soit-il, n’est déjà venu à bout d’un peuple déterminé. Et Doumbouya gagnerait à s’en inspirer.
« Le Pays »