Décédé le 19 juillet, à l’âge de 58 ans, des suites d’une courte maladie, le roi de la kora a marqué de son empreinte le répertoire mandingue en le hissant au rang de musique noble. D’aucuns n’ignorent son goût pour le mélange des genres improbables, qu’il aimait cristalliser en collaborant avec des musiciens issus de cultures et d’horizons différents. Dès la fin des années 1980, Toumani Diabaté accorde ses arpèges cristallins au rythme du flamenco en signant deux albums, Songhai (1988) et Songhai 2 (1994), avec le groupe espagnol Ketama. Plus tard, il osera, pêle-mêle, accompagner la chanteuse islandaise Björk sur des boucles électro, rivaliser avec les riffs électriques du guitariste français Matthieu Chedid (Lamomali), enrober la voix de velours de la chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater, ou encore se frotter aux orchestrations pop-rock du Britannique Damon Albarn. « Toumani aurait adoré faire de la pop, être une rock star », assure Lucy Duran, musicologue britannique et productrice de six de ses albums.

Une carrière propulsée à Londres

C’est en partie à elle que l’on doit la renommée, en Occident, du prodige de la kora, cette luth-harpe ouest-africaine à 21 cordes. « Je connaissais bien son père, lui-même joueur de kora. Et quand j’ai entendu Toumani, j’ai reconnu un génie, avec un talent incroyable », se souvient-elle. Nous sommes en 1986 et Toumani effectue son premier séjour à Londres en compagnie d’Ousmane Sacko. « L’année d’après, je l’ai invité à jouer dans un festival de musique organisé par la BBC au Royal Courts et j’ai aussitôt réalisé que je devais trouver le moyen de l’enregistrer », relate la productrice.

À cette époque, Toumani n’a pas son pareil en Europe. Lucy Duran peine à trouver un label qui accepte de signer le Malien, mais finit par convaincre, à l’usure, Joe Boyd, à la tête de la maison de disques britannique Hannibal Records. Ce dernier se résout à signer Kaira (espoir). « On a enregistré cet album en un après-midi, alors que certains morceaux durent dix minutes. L’opus a été un énorme succès. Ensuite, tout le monde voulait booker Toumani en festival, confie Lucy Duran. Il était devenu la plus grande star africaine avec Salif Keita. » Après les deux albums avec Ketema, s’ensuivent Djélika  (1995) et Nouvelles Cordes Anciennes avec Ballaké Sissoko, en 1999. « Puis les choses sont devenues plus compliquées avec Toumani. Il est rapidement devenu un grand nom, mais aussi une diva qui n’honorait pas toujours ses concerts, pointe la Britannique. Je préfère garder de lui l’éclat musical de ses débuts. »

Naissance de la musique classique africaine

Né le 10 août 1965 à Bamako d’un père également as de la kora, Sidiki Diabaté, et d’une mère chanteuse, la diva Nama Koïta, Toumani ne pouvait échapper à pareil destin. « Il connaissait parfaitement la tradition, grâce à l’héritage qu’il a eu de ses parents, mais sa force était sa créativité musicale, son lyrisme et sa virtuosité », estime Duran. Une technicité qui l’a amené à poser les bases d’une musique classique africaine sans pour autant échapper à l’étiquette de la « world music », que l’industrie occidentale de l’époque voulait bien lui coller.

« Si l’usage de la kora pouvait se répandre dans le cercle de la musique classique, je serais ravi. J’essaie d’ouvrir des portes, je vise à faire se rencontrer différentes cultures, qu’elles soient arabo-andalouse, africaine ou occidentale. Je suis mon instinct. L’Occident ne connaît qu’une partie infime de la culture africaine. Avec mes vingt-et-une cordes et mes quatre doigts, je poursuis une direction qui vise à faire évoluer la kora, en lui donnant une ampleur inédite », confiait-il à Jeune Afrique, il y a juste dix ans. Un vieux rêve qu’il concrétise en 2021, lorsqu’il enregistre Kôrôlén avec le London Symphony Orchestra, l’un des plus prestigieux orchestre symphonique anglais, donnant ainsi ses lettres de noblesse à l’instrument mandingue.

« Toumani était bien plus qu’un virtuose de la kora. Il était un pont entre nos traditions ancestrales et la modernité, un artiste qui a su porter la voix du Mali aux quatre coins du monde. Sa musique transcendait les frontières, touchant les cœurs par-delà les cultures et les langues, s’est exprimée Oumou Sangaré sur Instagram en apprenant la disparition de l’instrumentiste malien. Je garde des souvenirs précieux de nos premiers voyages ensemble, notamment cette tournée mémorable en Europe, avec l’ensemble Djoliba Percussions. Ces moments partagés sur scène et en coulisses ont forgé une amitié indéfectible. »

Un patrimoine éternel

Si, malin, Toumani a su enchaîner les collaborations avec les étoiles européennes et américaines, il n’en a jamais oublié ses frères maliens, comme la diva du Wassoulou donc, mais aussi Ali Farka Touré, avec qui il a publié en 2005, In the Heart of the Moon, accompagné du crooner américain Ry Cooder, puis cinq ans plus tard Ali & Toumani. Mais c’est aussi, et bien sûr, avec son digne héritier Sidiki Diabate, fils, qu’il immortalise l’histoire d’une longue transmission en mêlant classicisme et envolée afro pop sur Toumani & Sidiki (2014). « Mon père, Sidiki, avait semé des graines. Je les ai cultivées, j’ai étendu le champ de la kora et je le transmets aujourd’hui à mon fils, glissait-il dix ans plus tôt à Jeune Afrique. Il possède un don particulier dont je suis très fier. On peut trouver de grands musiciens au Mali, mais, nous, nous sommes une famille de musiciens depuis soixante-douze générations ! » Si Toumani s’en est allé, son patrimoine n’est pas près de s’éteindre.

Toumani Diabaté « était un joueur lyrique et virtuose » (msn.com)