Trente-trois ans après l’édition de 1991, le XIXe sommet de la Francophonie se tiendra de nouveau en France les 4 et 5 octobre avec des cérémonies et des échanges prévus entre la Cité internationale de la langue française (Cilf), à Villers-Cotterêts et le Grand Palais, à Paris. « Un retour symbolique, dans un contexte international qui a énormément changé, avec une organisation internationale de la francophonie qui s’est profondément réformée, et demeure attractive puisqu’elle attire de nouvelles candidatures », réagit Valérie Senghor, secrétaire générale adjointe du Sommet de la Francophonie.

L’Organisation internationale pour la francophonie (OIF), qui recense 88 pays membres, devrait en effet intégrer cinq nouveaux pays cette année. Près de 120 délégations internationales, dont une soixantaine de chefs d’État ou de gouvernement, sont attendues à cet événement d’ampleur. Parmi eux, un grand nombre de dirigeants africains seront présents : Paul Biya (Cameroun), Nana Akufo-Addo (Ghana), Bassirou Diomaye Faye (Sénégal), Brice Clotaire Oligui Nguema (Gabon), Azali Assoumanie (Comores) notamment, mais aussi Mohamed VI, dont la présence laisse penser à un signe de rapprochement alors que le climat entre la France et le Maroc s’était passablement refroidi ces derniers temps.

Organisé dans un pays francophone différent tous les deux ans, le Sommet est sous la houlette de la secrétaire générale de la Francophonie, la Rwandaise Louise Mushikiwabo. Réunion de haute importance, le Sommet définit les orientations stratégiques de la Francophonie et afin d’assurer le rayonnement de celle-ci au niveau mondial. Cette année, pour la première fois, des représentations de la société civile seront invitées au débat à la table des chefs d’État et de gouvernement. Cet événement est central pour la coopération économique dans l’espace francophone, le développement de la langue française ou encore faire rayonner les nombreuses richesses culturelles des pays francophones. Cette année, la thématique choisie, « Créer, innover et entreprendre en français », place la jeunesse francophone au c?ur des échanges.

Nouveaux paradigmes

« La tenue de ce sommet en France résonne aussi avec un certain nombre d’enjeux pour la francophonie, en particulier la place de la langue française et le rôle de la francophonie dans la diffusion du français à l’échelle internationale, dans un environnement numérique dans lequel de nouveaux outils, tels que l’intelligence artificielle, peuvent jouer un rôle majeur dans la diffusion des contenus en français », souligne Mme Senghor. Présent sur les cinq continents, le français se trouve sur tout le globe et conserve un fort dynamisme avec de nombreux nouveaux locuteurs chaque année, particulièrement en Afrique. Sur les 321 millions de francophones dans le monde, près de 60 % sont sur le continent. « L’Afrique est un continent majeur pour la francophonie », appuie la secrétaire générale adjointe. Sa forte démographie mais aussi une amélioration des systèmes éducatifs contribuent en effet à la croissance de la langue de Molière. Malgré cela, le français, 5e langue la plus parlée au monde, connaît un recul en Afrique où la France a vu ses relations se détériorer, voire cesser avec plusieurs pays. C’est notamment le cas au Sahel où a émergé ses dernières années un fort sentiment antifrançais qui s’est également répercuté sur la langue. Les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Mali, le Burkina Faso et le Niger, sont suspendus depuis 4 ans de l’OIF en raison des coups d’État survenus dans ces pays et des juntes qui se sont installées au pouvoir. À l’inverse, la Guinée a été réintroduite le 24 septembre après 3 ans de suspension.

Signe de cette rupture, le français n’est désormais plus la langue officielle au Mali et au Burkina Faso avec un accent mis au contraire sur les langues locales. Autres évolutions visibles, le choix de certains pays de se tourner vers l’anglais. C’est notamment le cas du Rwanda qui a fait ce choix pour l’enseignement en 2008 ou encore du Togo et du Gabon qui l’ont adopté comme langue principale et ont intégré le Commonwealth. « C’est important de décorréler la francophonie de la France, le français déborde largement de la France. Cette ambition a été portée par des chefs d’État d’Afrique et d’Asie, nouvellement décolonisés, comme un outil de coopération sur le plan technique et culturel. Cette idée d’un centre et ses périphéries est complètement dépassée », insiste Valérie Senghor, ajoutant que « dans un monde globalisé, la langue française baigne dans le plurilinguisme », ce qui en fait son attractivité. « Il est important pour la France d’investir dans le développement de l’éducation et de la langue française, si elle veut garder ce lien privilégié économique avec les pays francophones », avance Hasnain Yavarhoussen, directeur général du groupe malgache Filatex qui accompagne notamment des programmes extrascolaires en français persuadé que cela « permet de connecter plus facilement, mettre en place des relations économiques, aller vers des investisseurs? ».

Francophonie économique

Conscient des atouts conséquents de l’espace francophone, l’OIF semble vouloir désormais développer les opportunités économiques. Signe de cette nouvelle volonté, pour la première fois et en parallèle du Sommet, se tient le salon FrancoTech du 3 au 4 octobre, en association avec Business France et l’alliance des patronats francophones. L’événement réunit 1 500 professionnels à la Station F, le plus grand campus de start-up du monde, à Paris, pour promouvoir l’innovation, faciliter les connexions et favoriser les rencontres d’affaires. « Nous avons forcément un lien privilégié avec les pays francophones. La francophonie nous permet d’échanger plus facilement et de nous comprendre. Si on prend l’exemple de l’Afrique anglophone, même si les opportunités existent, il est plus compliqué pour nous d’aller percer ce marché de par la barrière de la langue, des équipes, etc. Sur la partie des solutions de financement, sur les solutions de garantie, c’est beaucoup plus facile pour nous d’emmener aujourd’hui le Sénégal sur une plateforme française, demander à Business France, à l’AFD, qui sont déjà présents dans ces pays, de venir financer », développe Hasnaine Yavarhoussen, dont le groupe Filatex est le premier producteur privé d’énergie à Madagascar et échange principalement avec des entreprises, des investisseurs et des organismes francophones.

« FrancoTech montrera la vigueur de la francophonie économique, notamment à travers des débats sur l’intelligence artificielle, le financement de l’innovation, la transition énergétique? Des sujets qui concernent le monde économique francophone. L’enjeu est aussi de porter le discours d’une dimension utilitariste de la langue française : c’est un outil, et même un levier pour agir dans le monde contemporain avec cette dimension d’une francophonie opérante, capable de relever les nombreux défis planétaires », explique Valérie Senghor. La francophonie économique constitue un important vivier d’opportunités et comprend notamment des marchés en pleine expansion, comme celui des biens culturels (films, livres, séries). Le potentiel de cet espace est considérable du fait également de la présence de francophones sur tous les continents, mais aussi car leur nombre devrait tripler d’ici à 30 ans, majoritairement sur le continent africain. Un atout qui pourrait également être un levier de développement pour les pays francophones émergents grâce aux investissements et aux créations d’entreprises. Hasnaine Yavarhoussen, ancien étudiant à Paris-Dauphine, appelle à « dérisquer », c’est-à-dire trouver de nouvelles solutions de financement, sur le contient : « Dérisquer des projets en Afrique francophone ne peut se faire que par des pays qui ont déjà des liens, ces pays, donc, qui sont francophones », assure-t-il. L’homme d’affaires a créé en 2019 le Fonds Yavarhoussen pour soutenir la création artistique malgache. Une mission que l’espace de la francophonie permet d’appuyer en facilitant les échanges et les opportunités dans le monde francophone du secteur culturel. « C’est un vrai échange gagnant-gagnant. Dans la francophonie, ce n’est pas juste, comme certains le perçoivent, une imposition et une continuité de la colonisation », défend-il.

Un riche volet culturel et artistique

Autre innovation pour ce XIXe Sommet, la tenue du Festival de la francophonie du 2 au 6 octobre, organisé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. « C’est une manière de faire porter le débat sur la place publique et d’inviter chacun à cette célébration, à faire l’expérience de la francophonie par le prisme des arts et de la culture », note Mme Senghor, également commissaire du festival. Intitulé « Refaire le monde », celui-ci offre une riche programmation culturelle, à travers des spectacles, des projections de films, une exposition, beaucoup de rencontres et de débats, des ateliers, une grande librairie, des concerts dans l’optique de faire découvrir les richesses et la diversité des cultures francophones. Un grand nombre d’initiatives se dérouleront dans différents lieux à Paris, notamment à la Gaité Lyrique mais aussi à l’Académie-Française ou à la BNF.

Partout en France, une quarantaine de sites offriront également des rendez-vous culturels. Commencé en réalité, le 20 mars dernier, à l’occasion de la journée de la Francophonie, le festival a parcouru 50 pays sur 5 continents et pas moins de 500 partenaires. Il sera clôturé le 6 octobre. Pensé particulièrement à destination des jeunes francophones de moins de 40 ans, le festival est « une sorte d’exhortation à agir à tous ceux qui veulent apporter leur contribution en s’appuyant sur le français comme une force pour transformer ce monde confronté à de grandes difficultés dans tous les domaines », indique la commissaire. Vecteur de coopération, cette langue agit comme un trait d’union. C’est ainsi le sens de l’exposition « Ce qui nous rassemble » présentée dans le cadre du festival qui donne à explorer les « liens entre les arts visuels et la langue, les textes, entre les mots et les formes, les images ». Initiative du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le village de la francophonie (2 au 6 octobre) rassemble le pavillon national d’une dizaine de pays afin de faire découvrir ces cultures à travers les arts vivants.

Sommet de la Francophonie : entre culture et économie, comment valoriser les atouts de la francophonie ? (msn.com)

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