« Raz-de-marée de Pastef », « ouragan Sonko », ou encore « Sénégal moy Sonko » (le Sénégal, c’est Sonko) titraient les titres de presse sénégalais ce lundi 18 novembre, au lendemain du scrutin électoral. La veille, 7,3 millions d’électeurs étaient attendus pour voter aux élections législatives anticipées afin d’élire les futurs 165 députés de l’Assemblée nationale (dont 15 pour la diaspora) pour les cinq prochaines années. Avec un taux de participation provisoire de 49,72 % (contre 46.6 % lors des législatives de 2022), les Sénégalais ont massivement renouvelé leur confiance au parti présidentiel des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Arrivé au pouvoir en avril dernier dès le premier tour avec 54,28 % des voix, Bassirou Diomaye Faye a été élu sur un programme souverainiste et panafricaniste, porté par des promesses de rupture avec l’ancien système jugé clientéliste ainsi que des réformes constitutionnelles pour un nouveau modèle de gouvernance.
Huit mois après le succès écrasant à la présidentielle, ce premier test pour le pouvoir s’est avéré gagnant. « Je rends hommage au peuple sénégalais pour la large victoire qu’il a donnée au Pastef » a revendiqué Amadou Moustapha Ndieck Sarré, le porte-parole du gouvernement quelques heures après la clôture des bureaux de vote. « Les tendances lourdes montrent que le Pastef aura une majorité qualifiée », a-t-il ajouté sans mentionner le nombre de sièges remportés à l’Assemblée nationale. Selon les premières estimations, le Pastef va en effet vers une majorité absolue en remportant un grand nombre des 46 départements du pays à l’image de Touba, Diourbel, Saint-Louis, Mbour ou encore dans la diaspora et dans plusieurs communes de Dakar. Les premiers résultats officiels provisoires seront annoncés ce mardi 19 novembre.
Des enjeux majeurs pour le parti présidentiel
L’enjeu était en effet de taille : le parti visait la majorité absolue dans l’hémicycle afin d’avoir les coudées franches pour mener à bien son programme « rupture ». Jusqu’à présent, la cohabitation s’avérait conflictuelle à l’Assemblée nationale du fait de la majorité acquise aux soutiens de l’ancien président Macky Sall. Plusieurs réformes, dont le vote du budget, ont ainsi été bloquées ce qui avait poussé le président à dissoudre l’institution.
« Ces résultats sont un prolongement du choix des Sénégalais exprimé en avril dernier. La population a de nouveau soutenu le projet Pastef et les réformes promises », explique Moussa Diaw, enseignant-chercheur en sciences politique à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (UGB). Il est habituel que la confiance envers un nouveau gouvernement soit dans la continuité avec le vote exprimé lors de la présidentielle. Rapidement, les opposants ont présenté leurs félicitations au parti vainqueur. « Je félicite chaleureusement Pastef pour cette victoire qui reflète la volonté du peuple. Ce moment, au-delà des clivages, est une victoire pour notre démocratie, pour le Sénégal », a écrit sur Facebook Amadou Ba, ancien Premier ministre arrivé 2e à la présidentielle de 2024. Ce vote « traduit également une forme de disqualification des anciens leaders politiques et du clientélisme religieux et ethniques mis en place au fils des ans », rebondit M. Diaw.
Alors qu’habituellement, les ressources publiques étaient mises à contribution pour le candidat présidentiel lors des campagnes électorales, le Pastef a demandé à ses militants de s’engager en participant au financement de cette campagne. « Il y a eu un engagement individuel et volontaire pour changer les pratiques politiques. Les Sénégalais rejettent la façon traditionnelle de faire de la politique : les leaders habituels ne sont plus des références et leurs discours moralisateurs ne sont plus audibles », appuie-t-il. À l’inverse, les sorties du Premier ministre, également président du Pastef, mobilisent massivement, notamment les jeunes. C’est sur cette image de « candidat providentiel » et son immense force d’attractivité qu’a misé le Pastef en le propulsant tête de liste pour les législatives. Une stratégie de cavalier seul qui s’est révélée gagnante.
Survie de l’opposition et recomposition politique
En face, 40 autres listes concouraient, dont certains partis et mouvements s’étaient réunis en coalitions, avec l’objectif affiché de faire barrage à une razzia du Pastef et ainsi imposer une cohabitation. Un espoir désormais balayé qui souligne l’autre enjeu de ce scrutin pour l’opposition : sa survie pour les cinq prochaines années. Une recomposition du champ politique s’annonce donc face à une opposition dispersée, critique d’un pouvoir qu’elle accuse d’inertie et de manques de réalisations en huit mois d’exercice. « Les divergences étant très nombreuses dans l’opposition, cela demandera une grande réflexion pour surmonter les difficultés. Il faudra également un leader porteur de ce projet », prophétise l’analyste politique.
Parmi les coalitions de ces législatives, celle hétéroclite de Wallu Takku Senegal, qui a investi comme tête de liste l’ancien président Macky Sall. La coalition, qui a dénoncé une « fraude massive organisée par le Pastef », pourrait devenir le premier groupe d’opposition à l’Assemblée nationale du fait de son fort vivier électoral. Moussa Diaw reste cependant peu convaincu de sa longévité. « Les deux ennemis d’hier, l’APR (parti de l’ancien président Macky Sall) et le PDS (parti de l’ancien président Abdoulaye Wade) se sont retrouvés pour survivre et résister à l’offensive politique du Pastef, mais les inimités sont toujours fortes », détaille-t-il.
L’absence de Macky Sall, qui réside désormais au Maroc, s’est révélée être un fort handicap puisque « ce sont les têtes de liste qui vont en campagne, qui rencontrent les citoyens pour leur expliquer leur projet politique », insiste l’enseignant-chercheur. Une absence qu’il explique par une crainte de Macky Sall d’être poursuivi dans le cadre de la reddition des comptes promis par le pouvoir actuel à l’encontre des fidèles de l’ancien régime. Or, une victoire aux législatives aurait octroyé l’immunité parlementaire à l’ancien président et ses fidèles. La coalition Jàmm Ak Njariñ, de l’ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle Amadou Ba, a souffert de son absence de projet politique, mais aussi de l’image de « candidat milliardaire » qui lui colle à la peau.
Enfin, la coalition Samm Sa Kaddu, qui avait à sa tête le maire de Dakar Barthélémy Dias, a elle aussi pâti d’un manque d’entente entre les leaders la composant, mais également du comportement jugé belliqueux de leur tête d’affiche. Les deux hommes politiques ont été battus par le Pastef dans leur bureau de vote respectif. Signe de la tension régnante, des escalades verbales entre leaders politiques et les violences physiques ont émaillé la campagne. « Cela est habituel lors des périodes électorales, car les rivalités sont exacerbées. Heureusement, cela est ponctuel », assure M. Diaw.
Fortes attentes et dossiers urgents
S’ils lui ont renouvelé leur confiance, les Sénégalais ont des attentes immenses envers le pouvoir. « J’exhorte le camp présidentiel à désormais se pencher sur la satisfaction des besoins des Sénégalais », a d’ailleurs aussitôt réagi l’opposant Bougane Guèye Dany, colistiers du maire de Dakar. Il y a quelques mois, le gouvernement avait présenté son programme « Sénégal 2025 », qui se voulait être la feuille de route pour assurer le développement du pays. Désormais, tous les leviers semblent être en sa possession pour l’appliquer. « Amélioration des conditions de vie avec baisse des prix des denrées, créations d’emplois dans les secteurs prioritaires que sont l’agriculture et la pêche, industrialisation? » énonce Moussa Diaw parmi les chantiers prioritaires. Le chômage (plus de 20 %) mais aussi la pauvreté, la migration clandestine sont parmi les dossiers urgents sur lesquels la population désire des réformes et mesures concrètes. C’est également un vote pour un changement systémique de gouvernance qui est désiré avec une lutte contre la corruption, la redistribution des recettes de l’exploitation des ressources naturelles et une refonte de la justice.
Le 1er novembre, Ousmane Sonko avait promis qu’en cas de majorité absolue aux législatives, il abrogerait la loi d’amnistie votée sous Macky Sall concernant les crimes et délits commis lors des crises politiques entre 2021 et 2024. Une haute cour de justice doit également voir le jour pour juger les responsables de corruption de l’ancienne présidence. « Le gouvernement est conscient des attentes : il sait que les Sénégalais ne se satisferont pas des discours et qu’ils les sanctionneront si les promesses ne se réalisent pas », brandit l’enseignant-chercheur sénégalais.
Au Sénégal, le parti au pouvoir assuré d’une large majorité à l’Assemblée nationale