En plein chaos politique depuis le coup d’État du 25 octobre, le Soudan est également confronté à une recrudescence des violences et des pillages au Darfour et ce, malgré l’accord de paix signé à Juba en octobre 2020 entre les groupes rebelles armés et le gouvernement de transition.

Depuis le coup d’État mené par les militaires soudanais, tous les yeux sont rivés sur Khartoum et les gigantesques manifestations pro-démocratie qui agitent la capitale soudanaise.

Mais un autre conflit refait parler de lui ces dernières semaines : celui du Darfour, qui a connu une guerre longue de 17 ans opposant des groupes rebelles à la dictature islamiste d’Omar El-Béchir épaulée par les milices arabes “janjawids”.

Depuis le mois d’octobre, une série d’attaques de villages a fait plusieurs centaines de morts et de blessés dans les régions de Jebel Moun et de Kreinik. Plus de 83 000 personnes ont été déplacées du fait de ces violences, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Un an après le départ des Casques bleus de la Minuad, la mission conjointe de l’ONU et de l’Union africaine (UA), l’insécurité regagne du terrain dans cette région grande comme la France située à l’ouest du pays.

“Sentiment d’impunité”

Le Darfour est régulièrement secoué par des conflits tribaux provoqués par des rivalités territoriales et des disputes pour accéder à l’eau et aux ressources. Cependant, le coup d’État du 25 octobre semble avoir renforcé l’instabilité dans la région. “L’État, la justice et la police sont aux abonnés absents. Le vide sécuritaire est total et les armes prolifèrent”, a récemment dénoncé le syndicat des médecins du Darfour occidental, qui accuse le gouvernement de « n’avoir pris aucune mesure sérieuse pour faire cesser les tueries”.

“La situation s’est sans doute aggravée avec le coup d’État car les forces armées se concentrent sur la capitale mais le vide sécuritaire était déjà bien présent”, estime le chercheur Jérôme Tubiana, co-auteur d’un rapport pour la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), joint par France 24. Le spécialiste du Darfour rappelle qu’en avril dans la région d’El-Geneina, des conflits intercommunautaires avaient déjà fait plus d’une centaine de morts et des dizaines de milliers de déplacés.

Si le coup d’État n’a pas fondamentalement changé la donne sécuritaire au Darfour, il a en revanche renouvelé “un sentiment d’impunité” parmi les miliciens arabes dont une partie a intégré les Forces de soutien rapide (FSR), estime Jérôme Tubiana.

“Parmi les gens de plus en plus puissants à Khartoum depuis la révolution et le coup d’État, on retrouve “Hemedti”, le chef des FSR. Cela peut leur donner le sentiment qu’ils ne seront jamais punis, peu importe ce qu’ils font”.

Le général Mohammed Hamdan Daglo, alias “Hemedti”, a commandé l’une des milices arabes “janjawids” lors de la guerre au Darfour. Ces “démons à cheval”, envoyés par le pouvoir d’Omar el-Béchir contre les différents groupes ethniques du Darfour, sont accusés de nettoyage ethnique et de viols.

Pour ces exactions, la Cour pénale internationale (CPI) exige de juger le dictateur chassé en 2019 pour crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité.

Situation humanitaire dégradée

Selon Jérôme Tubiana, ces récentes violences au Darfour visent également à saboter les accords de paix de Juba signés en 2020 entre plusieurs groupes rebelles et le gouvernement de transition.

“Certaines communautés arabes veulent garder le contrôle sur les terres qu’elles occupent et empêcher les personnes déplacées d’y revenir pour les cultiver même de manière temporaire”, explique le spécialiste du Darfour. Depuis l’été dernier, ils se sont systématiquement opposés au retour des déplacés”.

Le Soudan compte quelque 3 millions de personnes déplacées internes, dont plus de 80 % vivent dans les cinq États du Darfour. Des populations particulièrement vulnérables de plus en plus difficiles à atteindre pour les organisations humanitaires dans ce contexte sécuritaire dégradé.

La semaine dernière, un groupe armé a pillé près de 2 000 tonnes d’aide du Programme alimentaire mondial (PAM) à El-Fasher dans l’État du Darfour Nord. “Ce sont des gens qui ne peuvent pas nourrir leur famille et nous ne pourrons pas les aider en janvier parce que nous n’avons pas de nourriture à El-Fasher et nous n’avons plus, non plus, de matériel », a déploré sur RFI Marianne Ward, directrice intérimaire du Programme pour le Soudan.

Selon l’ONU, la situation humanitaire est critique au Soudan puisqu’un habitant sur trois aura besoin d’une aide humanitaire en 2022, le taux « le plus élevé depuis une décennie » dans le pays. (france24.com)