Le maître de cérémonie l’avait annoncé quelques minutes plus tôt : “Nous allons maintenant accueillir un virtuose de la guitare.” Et au final, il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise, comme pouvait en attester le public nombreux, réuni devant la scène de la place Moulay Hassan d’Essaouira, au Maroc. “Il est bon”, dit un spectateur d’un âge avancé. “Waouh ! quel talent !” renchérit un autre, plus jeune, en parlant du guitariste sénégalais Alune Wade.
Le bassiste n’en était pas à sa première participation au Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira, une manifestation culturelle de renommée internationale à laquelle il a déjà été convié deux fois, dans cette ville portuaire et touristique située sur la côte atlantique du Maroc, avant l’édition 2024 (27-29 juin).
Il prend part pour la troisième fois à ce rendez-vous prestigieux qui a contribué à faire d’Essaouira une ville culturelle.
En s’avançant sur scène, de sa silhouette longiligne, précédé de ses musiciens, Wade n’était pas franchement en terrain inconnu. Il était dans son monde.
Jam session
Lunettes noires, béret bleu outremer assorti de son grand boubou du style vestimentaire du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, collier typique des “baay faal”, le musicien sénégalais entame sa prestation tout en douceur par le morceau “Mame Fallou”, une ode au deuxième calife des mourides, une confrérie musulmane sénégalaise.
C’est le moment pour ceux qui le découvrent de goûter à son succulent jeu de basse, qui trouve toute sa mesure dans sa belle voix. Une voix qui déchire la nuit et pénètre le cœur. Le public semble déjà conquis. Mais, ce n’est que le début. Il le sera davantage au fur et à mesure que le génial bassiste sénégalais fait monter la température. Une atmosphère à faire oublier le petit froid de ce soir-là.
Wade et sa bande enchaînent les titres, donnant libre cours à leurs instruments. “Ça sera la première fois que je me produis à Essaouira avec ma propre formation musicale”, confiait-il, le matin, à l’APS. Six instrumentistes, telle une bande de joyeux drilles, s’en sont donnés à cœur joie, menés de main de maître par lui.
Le public, bercé qu’il était par des mélodies tantôt jazzy servies par les deux pianistes et claviéristes, tantôt groove de l’énergique batteur, s’abandonnait littéralement, comme envoûté, pendant que la partition de la joueuse de conga et de djembé imposait par moments un rythme endiablé. Une fusion totale.
Les applaudissements à tout rompre en attestent. Il y a bien mieux. Un dialogue s’installe entre Alune Wade, sa bande et les spectateurs, qui reprennent en chœur les refrains sous forme d’onomatopées, plus faciles à répéter que ceux chantés en wolof.
Quand il part en solo, pinçant les cordes de sa guitare basse, on est comme transporté dans de belles et lointaines contrées imaginaires. Et lorsqu’entre en scène le batteur dans une parfaite synchronisation avec les roulements de la tumba et du djembé, le spectateur en devient ensorcelé.
Hystérie collective
La transe guette avant que le trompettiste, de ses mélopées bucoliques, n’invite à reprendre petit à petit ses esprits. Et Wade de reprendre le lead par une bossa nova, un brin tristounet, dans une chanson sur le thème de l’enfance et des talibés, accompagné du pianiste et du claviériste. Il y a ensuite cette touche imprévue de makossa du saxophoniste…
Enfin, dans un tourbillon de sons et de rythmes, une sorte de jam session, où l’on décèle des bribes de chants folkloriques de la Sénégambie, achève de faire croire qu’on se trouve à l’Afrika Shrine, le mythique club de Fela Kuti, dans les années 1970.
De tous âges, les festivaliers sont venus nombreux. Hommes et femmes, des jeunes et des moins jeunes, seuls ou en famille, vêtus de djellabas, voilées ou en tenues décontractées, ils sont venus d’Essaouira, des autres villes marocaines et de l’étranger.
Kevin est un Français venu spécialement pour le Festival Gnaoua et Musiques du Monde. “C’est la première fois que j’assiste à cet évènement”, dit ce membre d’une association qui s’occupe de personnes en situation de handicap.
Assises dans des fauteuils roulants, elles sont “une dizaine”, battant des mains et tout enjouées. Kevin ne connaissait pas Alune Wade avant ce soir, mais cela ne l’empêche pas de bouger la tête et de lever les mains en l’air sur les rythmes entraînants du virtuose sénégalais de la basse, compositeur et chanteur, et de son groupe.
Un autre spectateur, Souiri, habitant d’Essaouira, est par contre un habitué. Il est accompagné de son épouse et d’une amie, étudiante à Marrakech. Comme Kevin, le trio ne connaissait pas ce guitariste qui a collaboré avec les plus grands noms de la scène mondiale du jazz.
Ils sont venus au festival spécialement pour voir sur scène le très populaire Maâlem Hamid El Kasri, de nationalité marocaine, le chanteur de pop algérien Labess, qui devaient se produire samedi 29 juin, et le rappeur palestinien Saint Levant, programmé la veille. Ce qui n’empêche pas les deux jeunes filles, la vingtaine, de se trémousser ardemment sur la musique d’Alune Wade et de son groupe.
Un peu plus d’une heure plus tard, arrive le moment de la fusion, le mélange de genre musical qui fait les sonorités d’Alune Wade et celles du Marocain Abdelmalek El Kadiri s’entremêler divinement.
Sur scène, avec les choristes et chorégraphes hommes gnaoui, comme dans le public, on tournoie aux sons de la guitare d’Alune Wade et du guembri du Maâlem, à la manière des derviches. Aux hourras succèdent les youyous. C’est l’hystérie collective.
Soumaya ne tient pas en place. “Ça en valait la peine de faire le déplacement”, s’exclame cette jeune Marocaine, qui a effectué un trajet de quatre heures en voiture entre Agadir et Essaouira pour assister au festival.
Plus tôt le matin, l’artiste avait prévenu : “Je vais offrir au public une sorte de compilation de mes trois participations à ce festival, depuis ma première en 2007.” Au final, Alune Wade a plutôt offert la lune.