Tensions persistantes entre les pays de l’AES et Paris, remplacement du français par l’anglais dans les universités algériennes sur fond de crise diplomatique chronique… Pour Mohamed Salah Ben Ammar, le 19e Sommet de la francophonie, organisé ces 4 et 5 octobre dans les Hauts-de-France, sera placé sous le signe de la méfiance, mais il est encore temps de sauver les meubles.

« Créer, innover et entreprendre en français », tel est le thème du 19ᵉ Sommet de la francophonie, qui se tient pour la première fois en France depuis trente-trois ans. Il s’agit donc de mettre en valeur la langue française et la Francophonie dans différents domaines, de la diplomatie à la politique, en passant par l’économie et la culture. Mais, admettons-le, il est évident que cette réunion vise principalement à renforcer l’influence de Paris dans le monde.

Le contexte dans lequel s’ouvre cette édition est connu : les relations entre la France et une bonne partie de l’Afrique francophone ne sont pas au beau fixe, alors que, selon l’Observatoire de la francophonie, 60 % des francophones se trouvaient en Afrique en 2022 – bien que l’Algérie, où le français est largement utilisé, n’ait jamais voulu faire partie de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Au vu de la tiédeur des relations, il serait donc hypocrite de ne pas s’interroger sur les attentes réelles des participants et des organisateurs de ce sommet. Peut-on imaginer les dirigeants malien, burkinabè et nigérien y assister comme si de rien n’était ? Pourquoi ces pays, pour ne citer que ceux-là, sont-ils parvenus à ce point de rupture avec Paris ?

Soigner les blessures du passé

Certes, on peut toujours prétendre que la brouille entre la France et les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) est téléguidée par d’autres puissances, lesquelles tentent de se positionner en Afrique. En réalité, c’est le résultat, inévitable, de la politique menée par la France en Afrique depuis des décennies. Un exemple : le 15 février 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République française, déclarait à la télévision algérienne que la colonisation est un crime contre l’humanité. Depuis, rien. Aucune action n’a été entreprise en conséquence. Pour maintenir et développer la Francophonie, il est essentiel de respecter le besoin de reconnaissance des Africains.

Il faut reconnaître que la colonisation a fait beaucoup de mal, qu’elle a profondément affecté l’identité des peuples colonisés, qu’elle a installé dans les esprits une hiérarchie culturelle, sociale, ethnique entre les Blancs et les Africains. Après les indépendances – arrachées au prix de confrontations plus ou moins violentes avec les peuples colonisés –, une néocolonisation s’est insinuée dans toutes les anciennes colonies : les comportements condescendants et arrogants des Français, tout comme l’exploitation des richesses du continent, ont perduré.  Parallèlement, en France, les ressortissants des pays africains ont été de plus en plus discriminés, stigmatisés, soumis au lynchage médiatique, aux vexations de la police. Les combattants des deux guerres mondiales et leurs descendants, ainsi que ceux des travailleurs attirés dans l’Hexagone pendant les Trente Glorieuses et installés dans les cités des banlieues, sont dorénavant indésirables.

Les débats postcoloniaux se sont souvent limités aux aspects politiques et diplomatiques, sans prendre en compte l’impact profond de la colonisation et de la décolonisation sur les sociétés concernées. C’est dans ce contexte que le passé colonial s’est rappelé à l’esprit des jeunes Africains. Ils expriment une colère refoulée en critiquant la politique africaine de la France et en rejetant le système néocolonial sur lequel elle s’appuierait. L’utilisation même de la langue française peut être perçue comme une forme d’agression envers des populations qui ne la maîtrisent pas. Des puissances telles que la Russie, la Chine, la Turquie et l’Iran n’en demandaient pas davantage pour tenter de s’imposer. La colonisation et la décolonisation ont laissé des cicatrices profondes, tant dans les sociétés colonisées que dans les sociétés colonisatrices. En Europe, les partis d’extrême droite ont fait de ce ressentiment une raison de vivre. En Afrique, la France est accusée de tous les maux. Cela permet aux dirigeants africains d’éviter de remettre en question leur propre responsabilité.

Repenser la politique africaine de la France

D’ores et déjà, des décisions importantes pourraient être prises. La coopération en matière de sécurité doit être repensée. La présence militaire française en Afrique a fait beaucoup de mal à l’image de la France sur le continent. Certes, cette présence a été largement réduite ces derniers temps, mais la manière dont elle l’a été s’apparente à un saut dans l’inconnu. Il faut dépasser les egos et mettre en avant les intérêts des populations locales qui souffrent du terrorisme. Les initiatives régionales de sécurité doivent être encouragées, renforcées, et les capacités des forces de défense africaines, soutenues. Il est important de donner aux pays africains les moyens de prendre en charge leur propre sécurité et de lutter contre les menaces terroristes et criminelles.

On ne peut pas promouvoir la Francophonie et continuer de traiter les questions migratoires sous l’angle de la répression. Les humiliations subies par les Africains lorsqu’ils demandent un visa pour la France sont inacceptables. Le spectacle des naufrages en mer des migrants est une honte. Nous le savons tous, traiter la question migratoire uniquement sous l’angle sécuritaire conduit à une impasse. Il est crucial de promouvoir la mobilité des personnes et de faciliter les échanges culturels entre la France et les pays africains. Cela implique de faciliter l’obtention de visas pour les étudiants, les chercheurs, les artistes et les entrepreneurs africains, et de favoriser les partenariats entre les universités et les institutions culturelles.

Il est temps pour la France de repenser sa politique envers l’Afrique afin de stopper les agissements des pays démagogues qui sèment et alimentent la haine des deux côtés. Pour construire une relation apaisée, il est essentiel que chacun assume sa part de responsabilité et reconnaisse les erreurs du passé, construise les bases de relations solides fondées sur le respect mutuel et une coopération équilibrée. Car, n’en déplaise à tous les va-t-en-guerre, notre avenir est commun.

France-Afrique : au sommet de l’OIF, l’occasion de repenser une relation en crise (msn.com)

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