La France reconfigure sa présence militaire en Afrique, marquant un tournant dans ses relations de défense avec le continent africain. Jean-Marie Bockel, envoyé personnel d’Emmanuel Macron, a remis lundi 25 novembre son rapport très attendu (mais dont les grandes lignes fuitent depuis cet été) sur la stratégie à adopter, prônant un partenariat « renouvelé » et « coconstruit » avec les pays concernés. L’objectif est de répondre « aux besoins exprimés par les nations africaines, tout en respectant leur souveraineté », selon l’Élysée. Un tournant qui intervient après une série de coups d’État au Mali, au Burkina Faso puis au Niger, où les juntes militaires qui ont pris le pouvoir dans ces pays ont poussé dehors l’armée française, marquant la fin d’une ère après une décennie d’intervention antidjihadiste pour tenter d’enrayer la spirale de violences dans cette région déshéritée. Longtemps perçues comme des symboles d’ingérence, les bases militaires françaises suscitent des critiques croissantes, et sont régulièrement remises en cause par des sociétés civiles africaines exigeant une souveraineté accrue et par la montée de nouveaux partenariats internationaux.
Un nouveau modèle de coopération militaire
La mission de l’ancien secrétaire d’État à la Coopération sous Nicolas Sarkozy (2007-2012) s’est concentrée sur les quatre pays abritant des bases militaires françaises : Côte d’Ivoire, Tchad, Gabon et Sénégal (hors Djibouti). Cependant, en raison des récentes élections sénégalaises, les discussions n’ont pu avoir lieu à Dakar. Le rapport met en avant une réduction notable des forces prépositionnées, qui devraient être ramenées à quelques centaines de militaires par pays. Par exemple, les effectifs au Gabon et au Sénégal passeront de 350 à environ 100 soldats, et ceux en Côte d’Ivoire et au Tchad où près d’un millier de soldats tricolores sont stationnés seront également réduits. « Le terme remodeler me paraît être le bon terme. L’esprit, c’est de venir avec des propositions, une écoute et ensuite un dialogue qui aboutissent à un accord gagnant pour les deux parties », avait déclaré Jean-Marie Bockel à l’issue d’un échange avec le président Alassane Ouattara. En revanche, « il n’y a pas de demande de départ » des troupes françaises de la part des chefs d’État gabonais, tchadien et ivoirien, avait-il assuré sur France 24. Connu pour être un pourfendeur de la « Françafrique », Jean-Marie Bockel a perdu l’un de ses fils en 2019 au Mali, dans un accident d’hélicoptère. Ce dernier était déployé dans le cadre de l’opération Barkhane.
Un signal face aux tensions croissantes
L’approche envisagée repose sur la transformation des bases traditionnelles en « hubs de coopération » visant à répondre aux besoins spécifiques des pays hôtes. Un détachement de liaison permanent remplacera les dispositifs plus imposants, tandis que la coopération militaire sera recentrée sur la formation, le renseignement et les partenariats stratégiques. Cette réorganisation intervient dans un contexte où la présence militaire française en Afrique est de plus en plus critiquée. Comme au Sénégal ? historiquement perçu comme un pilier de stabilité en Afrique de l’Ouest ? où le Premier ministre Ousmane Sonko a déclaré que la souveraineté de son pays était « incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal ». Malgré sa tradition de coopération militaire avec la France, Dakar pourrait donc être tenté de réévaluer ces accords dans un contexte de montée du sentiment nationaliste et de diversification des partenariats internationaux. Ces déclarations posent la question d’une rupture possible, au-delà d’un simple redéploiement.
Alors que cette transition vise à répondre aux attentes des pays partenaires, elle met également en lumière les défis de la diplomatie française en Afrique, marquée par la montée en puissance de la Chine, la Russie ou la Turquie. Paris espère que cette révision de sa présence militaire renforcera la confiance mutuelle et repositionnera la France comme un allié respectueux et moderne dans une région stratégique.