Le climat politique incertain qui règne dans le pays ne laisse pas augurer une amélioration de l’économie. Le défaut de paiement enregistré sur le marché régional risque de ternir durablement la réputation financière de Bamako.
Le Mali a enregistré il y a quelques semaines un défaut de paiement sur le marché financier régional de l’Uemoa. Si cet incident a bien été évoqué dans les journaux économiques, il n’a cependant pas eu le retentissement et l’attention qu’il aurait mérité, eu égard à ses implications à court et long terme pour l’économie malienne.
Chauvinisme
Selon une idée entretenue par des panafricanistes autoproclamés, chauvinisme à tout crin chevillé au corps, parce que l’Afrique dispose de terres riches en matières premières, elle est en capacité de créer de la richesse et de se développer. Rien n’est moins sûr : ce lien de cause à effet n’est pas établi. Les matières premières sont, évidemment, nécessaires mais pas suffisantes, encore faudrait-il pouvoir les transformer. Imaginer qu’elles garantissent de la richesse, c’est ne pas prendre en considération le capital (les moyens financiers) et le travail nécessaires à leur transformation.
Le capital financier apparaît aussi essentiel aux pays africains que les matières premières
Dans La richesse des nations, ouvrage majeur sur lequel se fonde la théorie économique classique, Adam Smith analyse l’origine de la prospérité de pays comme l’Angleterre. Il y distingue les différents facteurs de production : la terre, détenue par des propriétaires qui perçoivent des rentes en contrepartie des droits d’exploitation qu’ils cèdent aux agriculteurs ; le travail, fourni par la population ; le capital financier, utilisé pour acquérir les outils de travail indispensables à la transformation des matières premières et pour rémunérer les travailleurs.
Endettement préconisé
Le capital financier apparaît donc aussi essentiel que les matières premières aux pays africains qui ambitionnent de passer d’une économie de rente à une économie productive et créatrice de richesse, ceteris paribus. Pour mobiliser ce capital financier, les États ont recours soit aux recettes fiscales soit, lorsque ces dernières sont insuffisantes, à l’endettement. Les pays africains ayant, comme chacun sait, de faibles ressources fiscales et une capacité de recouvrement limitée, c’est bien l’endettement qui est généralement préconisé.
Le financement par la dette de l’État se fait souvent sur les marchés financiers via l’émission de titres de dette. Or, la notation financière de l’État est une condition sine qua non pour cette opération. Elle fournit une évaluation de la capacité de solvabilité de l’émetteur de la dette (ici l’État) et donne des indications sur ses conditions d’accès aux capitaux tels que le coût du financement, le taux de couverture et l’attractivité. Bien souvent, la notation financière d’un État est d’ailleurs requise pour la notation de tout autre émetteur de dette comme les entreprises et les collectivités sous sa juridiction.
Les agences de notation évaluent les transferts de fonds des travailleurs immigrés vers leur pays d’origine
Dans la pratique, les agences de notation financière s’appuient sur un ensemble d’indicateurs macroéconomiques : la dynamique de l’activité économique – mesurée par le taux de croissance du PIB – , le taux d’inflation, la dette publique – appréhendée par le ratio dette/PIB et le ratio dette/recettes fiscales… Pour les pays émergents et en développement, les agences de notation évaluent, en sus, les réserves de change disponibles et les transferts de fonds des travailleurs immigrés vers leur pays d’origine.
Difficile mobilisation des fonds
Dans un contexte macroéconomique post-pandémique inédit, les notations financières des pays sont encore davantage tributaires de leur stabilité économique et politique. Au plan économique, les prévisions de croissance des pays africains sont modestes alors que la plupart de ces pays souffrent d’une dette publique et d’une inflation excessive héritées de la gestion et des effets de la pandémie de covid-19.
Les notes financières de pays comme le Rwanda et le Ghana ont ainsi été revues à la baisse récemment par Fitch Ratings, malgré une reprise de l’activité économique. Une telle situation implique une difficulté pour mobiliser les capitaux – prime de risque élevée – nécessaires au financement des investissements vecteurs de création de richesse.
Les investisseurs, y compris africains, ne sont pas sensibles aux idéologies politiques
La question de la notation financière mérite donc d’être examinée avec attention dans les pays de la sous-région ouest-africaine exposés à un accroissement de l’instabilité politique. Cela vaut pour le Mali, où elle a inopportunément conduit à un défaut de paiement sur le marché financier régional. Tous les autres marchés financiers se souviendront de cette défaillance aussi longtemps que cela sera nécessaire.
Les plaidoiries des panafricanistes n’y changeront pas grand-chose : les investisseurs, y compris africains, ne sont pas sensibles aux idéologies politiques. Qu’importe donc si les tumultes en cours dans un pays se justifient ou pas, la notation financière prend en considération, non seulement la stabilité politique et institutionnelle – c’est-à-dire la qualité des institutions publiques, le respect des normes juridiques et la préservation de l’État de droit – , mais aussi le respect, par le gouvernement, de ses obligations financières au cours des dernières années.
Réputation financière
Honorer ses engagements est un indicateur clé utilisé par les agences de notation afin d’établir la réputation financière d’un pays émetteur de titres de dette. En 2011, aucun État noté dans les catégories AAA, AA et A par Fitch Ratings, à l’exception de la Pologne, n’avait fait défaut sur sa dette en devises étrangères au cours de la période 1991-2011.
À croire qu’au Mali, au bout du compte, le désordre politique prétendument réparateur pourrait se révéler destructeur. Dans tous les cas, il a un coût immédiat perceptible. (Jeune Afrique)