Excellence Monsieur le président du Sénégal et président de l’Union africaine,

Vous êtes sorti « très rassuré et très heureux » de la rencontre que vous aviez eue avec le président russe Vladimir Poutine, le 3 juin 2022, au sujet des craintes de crise alimentaire suscitées par la guerre en Ukraine.

Je suis au regret d’atténuer votre enthousiasme avec le cri de détresse des Africains fuyant ce conflit. En effet, depuis le déclenchement de la guerre le 24 févier 2022, des milliers de vos ressortissants souffrent le martyre tout comme d’autres issus de pays tiers. Après de nombreux appels à l’aide et des discriminations durant leur fuite, beaucoup ont pu regagner des pays d’Europe occidentale dans l’espoir d’y trouver protection.

À leur grand désenchantement, ils ont appris que l’Europe n’offre cette protection qu’aux Ukrainiens et à leurs familles, qu’aux apatrides reconnus par l’Ukraine et qu’en ce qui concerne les ressortissants d’États tiers, ils doivent prouver qu’il leur est impossible de rentrer dans leur pays d’origine de manière sûre et durable. La plupart d’entre eux étant étudiants en Ukraine, ils n’ont tout simplement aucune raison pour justifier, par exemple, qu’ils sont menacés dans leurs pays. Conséquence : ils sont écartés du système de protection.

Il leur est proposé de demander l’asile qui débouchera certainement sur leur renvoi alors qu’ils ne demandent que la possibilité de pouvoir terminer leurs études pour se mettre au service de leurs pays. Leur avenir dépend de la poursuite de leur formation de qualité entamée en Ukraine, formation à laquelle ils n’ont pas accès, pour la plupart, dans leurs pays d’origine. Les portes des universités leur sont en grande partie fermées. Beaucoup se résignent à aller de pays en pays dans l’espoir d’en trouver un qui leur accordera la possibilité d’achever leurs études.

Excellence Monsieur le président de l’Union africaine,

Face à cette triste réalité, plusieurs personnes constituées en groupe, sans distinction de couleur, ont mis entre parenthèses un pan de leur vie pour voler au secours des Africains et d’autres ressortissants de pays tiers. Des actions sont menées dans divers pays d’Europe pour demander l’élargissement de la protection aux ressortissants d’États tiers. Dans cette bataille qui a tout l’air d’un combat de David contre Goliath, les défenseurs de la cause des ressortissants d’États tiers peuvent compter sur quelques bonnes volontés au niveau associatif, politique et individuel.

Dans ce contexte, votre visite en Russie devrait être porteuse d’espoir pour vos filles et fils en détresse. Votre silence sur leur drame est incompréhensible. Vous n’avez pas cherché à savoir si des réfugiés africains sont en Russie, vous ne vous êtes pas préoccupé de savoir s’il y en a qui sont toujours bloqués dans les zones de combat et demander leur évacuation.

En Russie, vous vous êtes contenté de négocier la libération des stocks de céréales, le blé en particulier, et d’engrais. Le fait que l’Afrique dotée de vastes superficies cultivables et d’une population jeune n’ait pas pu être autosuffisante et qu’elle soit contrainte de se tourner vers la Russie et l’Ukraine pour faire face à « l’ouragan de famine » que prédit l’ONU, est au passage un échec et une humiliation en matière de politique agricole de tout un continent.

Excellence Monsieur le président de l’Union africaine,

Par votre silence, vous avez tourné le dos à ces jeunes qui sont pourtant l’avenir de l’Afrique. Cependant, des occasions existent pour rectifier le tir, si la volonté y est. Votre prochaine visite en Ukraine et votre participation au prochain sommet du G7 en Allemagne en sont quelques-unes.

Il convient de mentionner que l’absence de réponse globale à l’échelle du continent pour ceux qui ont été rapatriés d’Ukraine est un chantier qu’il serait louable d’engager.

Je vous demande solennellement et en toute humilité, au nom des milliers d’Africains meurtris par la guerre en Ukraine et dont la vie ne rime qu’avec traumatisme, douleur et désespoir, d’inscrire à l’agenda de toutes vos discussions sur la scène internationale la question des réfugiés d’États tiers, africains en particulier, fuyant l’Ukraine pour demander protection en Europe.

Si le volet humanitaire et solidaire de cette requête ne parvient pas à convaincre vos interlocuteurs européens, l’argument d’un partenariat, avec en toile de fond l’énergie, pourrait s’avérer efficace. Des pays africains étant actuellement courtisés par l’Europe, dans sa quête de ressources en gaz pour compenser l’approvisionnement russe, l’Afrique a sa carte à jouer en incluant dans ses accords l’accueil des étudiants affectés par la guerre dans les universités européennes.

Excellence Monsieur le président de l’Union africaine,

Les étudiants concernés espèrent des actes comme réponse aux requêtes exprimées dans cette lettre ouverte. Allez-vous faire comme Joe Biden qui a choisi le silence lorsque je lui ai demandé dans une lettre ouverte de se préoccuper du sort des réfugiés africains détenus dans des centres en Pologne lors de sa visite dans ce pays ? Allez-vous adopter l’attitude du Pape François qui a joué aux équilibristes en expliquant dans sa réponse à ma lettre ouverte qu’il essaie d’amener à la paix les parties en conflit, tout en éludant ma demande de se positionner en faveur de l’accueil des étudiants d’États tiers par l’Europe ? Où allez-vous emprunter la voie d’un chef de famille aux yeux duquel ses enfants sont précieux pour voler à leur secours ?

Cette dernière voie cadre d’ailleurs mieux avec l’esprit de l’Union africaine dont l’un des buts consiste à « réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique ».

En attendant, chaque jour nous rapproche de la rentrée universitaire. Et, le temps presse pour sortir les étudiants africains et de pays tiers de l’impasse.

Sion, Suisse, le 5 juin 2022

Etonam Ahianyo, Journaliste, Africain, Coordinateur de l’initiative Save Africans-Ukraine Contact : +41 78 243 09 10 / www.saveafricans-ukraine.ch